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elle y resta, et les Coréens ont dû la reprendre comme un trophée de leur victoire. Les troupes s’embarquèrent pendant la nuit, et le matin à six heures nous étions en route. Au coude du détroit, plusieurs forts tirèrent sur nous, et quelques boulets tombèrent à bord, mais sans blesser personne. Les canonnières ripostèrent énergiquement. Un peu plus loin nous revîmes les murs de la pagode, qui n’est qu’à deux kilomètres du rivage. Notre retour fut une grande surprise pour la frégate et les corvettes. Beaucoup d’officiers disaient qu’on aurait dû faire sauter la pagode en la bombardant du rivage ; d’autres soutenaient que c’était impossible. En somme, tous éprouvaient une pénible déception, et manifestaient leur dépit en termes assez peu mesurés.

« La nuit suivante, six matelots chrétiens vinrent à bord. Ils me dirent que la persécution était plus violente que jamais, et que le régent avait solennellement juré d’exterminer tous les chrétiens, même les femmes et les enfants. Le 14 de la neuvième lune (fin d’octobre), le catéchiste Jean Pak, noble de la province de Hoang-haï, ainsi que la femme et le fils de François Ni, compagnon de Mathieu Ni dans l’évangélisation des provinces du Nord, avaient été exécutés à Séoul, après avoir souffert d’horribles tortures. Trois jours plus tard, François Ni lui-même, trahi par son frère encore païen, venait d’être mis à mort, en compagnie d’un autre chrétien dont ils ne purent me dire le nom. Le régent, par une dérogation inouïe aux usages du pays, avait choisi un nouveau lieu d’exécution pour ces cinq victimes. On les avait conduites à Iang-ha-tsin, sur les bords du fleuve, à l’endroit même où les deux navires français avaient mouillé, vis-à-vis de la capitale, un mois auparavant. « C’est à cause des chrétiens, » disait la proclamation officielle, « que les barbares sont venus jusqu’ici ; c’est à cause d’eux que les eaux de notre fleuve ont été souillées par les vaisseaux de l’Occident. Il faut que leur sang lave cette souillure. » J’appris aussi qu’à Iang-ha-tsin même, on avait établi un camp de cinq cents soldats, auxquels on avait donné ordre, s’ils découvraient un chrétien parmi eux, de le tuer sans forme de procès.

« J’eus ensuite des détails sur mes deux confrères, MM. Féron et Calais. Lors de la première expédition, ces mêmes matelots avaient essayé de les amener jusqu’à nos navires, mais ils étaient arrivés deux jours trop tard, et, après avoir erré longtemps dans les îles, ils les avaient déposés sur une barque chinoise qui avait dû les amener à Tche-fou. Il n’y avait donc plus de missionnaires sur cette pauvre terre de Corée ! Je regardais la côte, je ne