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avec papa et maman ; on nous emmènera aussi, on nous dira : Renonce à la religion ou bien je vais te faire couper en morceaux. Que ferons-nous ? — Moi, » dit le plus grand, « je dirai : Faites comme vous voudrez, mais je ferai comme papa ; je ne renoncerai pas au bon Dieu, et si on me coupe la tête, j’irai chez le bon Dieu. — Et moi, » ajouta l’autre, « je dirai au mandarin : Je veux aller au ciel. Si vous étiez chrétien, vous iriez aussi au ciel ; mais, puisque vous faites mourir les chrétiens, vous irez en enfer. » Alors Anna serrant ses deux frères dans ses bras leur dit : « C’est bien, nous mourrons tous et nous irons au ciel avec papa et maman et le Père. Mais pour cela il faut bien prier le bon Dieu, car on nous fera bien mal. On nous arrachera les cheveux, les dents, les mains ; on nous frappera avec un gros bâton ; et le Père dit que si l’on n’a pas bien prié, on ne pourra pas y tenir. » Quelques instants après, le plus jeune des deux frères alla trouver sa mère : « Maman, est-ce qu’on tuera aussi le petit enfant ? (son petit frère qui n’avait que quatorze mois) » J’ai passé près d’un mois et demi dans cette retraite, enviant le sort de nos martyrs, faisant pénitence pour mes péchés qui m’ont privé du bonheur de partager leur sort, et méditant surtout ces paroles : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! J’avais pu rattraper le Parfum de Rome, et, en relisant ces belles pages dans mes longues journées de loisir, j’y trouvais des tableaux frappants de notre état actuel. Ne sommes-nous pas, en Corée, au temps des catacombes ?… Enfin le 8 mai, j’ai eu des nouvelles de M. Féron, qui se trouvait caché à quelques lieues de moi, et le 15, après un voyage de nuit qui n’a pas été sans danger, j’ai pu me jeter dans ses bras. »

M. Calais fut, des trois missionnaires, celui qui courut les plus sérieux périls. « Je m’étais réfugié, » raconte-t-il, « dans la ville païenne de Moun-kien ; mais un soir, un léger accès de toux trahit ma présence pendant qu’un païen se trouvait à la maison. Je partis la nuit même, et guidé par le chrétien qui m’avait donné asile, je cherchai à regagner par des chemins détournés le village de Hau-sil où j’avais fait l’administration quelque temps auparavant. Nous nous égarâmes dans les montagnes, et vers midi seulement nous aperçûmes Hau-sil à une lieue de distance. Je renvoyai mon guide qui, en arrivant, trouva sa maison dévastée par les païens, et je continuai ma route en portant mon paquet sur mes épaules. Je n’avais rien mangé depuis la veille, j’étais épuisé de fatigue. Vers trois heures, j’arrivai auprès d’un petit groupe de maisons chrétiennes. Quelques femmes étaient