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tiens, et les plaçant entre la mort et l’apostasie, pour leur faire dénoncer leurs prêtres, il eut un instant l’idée de se livrer. Il écrivit à MM. Féron et Ridel pour leur faire part de son intention, sans les engager à l’imiter, sans le leur défendre non plus : « Faites, » leur disait-il, « ce que le bon Dieu vous inspirera. » En apprenant que Mgr Berneux allait être condamné à mort, il ordonna de préparer une barque, écrivit à la hâte un exposé de la situation, et chargea quelques matelots chrétiens de gagner la pleine mer, afin de remettre cette lettre au premier navire européen ou chinois qu’ils pourraient rencontrer. Les messagers n’étaient pas encore partis quand il reçut la nouvelle du martyre du vicaire apostolique et de ses trois compagnons. Il fit une seconde lettre donnant des détails plus complets sur le danger pressant où se trouvait la mission. La nuit même, la barque mit en mer, mais elle ne rencontra aucun navire, et après avoir louvoyé inutilement pendant quinze jours, elle allait regagner la côte, lorsqu’on aperçut une petite jonque de contrebandiers chinois qui consentirent à prendre les lettres. La seconde fut perdue en route, la première arriva en Mandchourie, à Mgr Verrolles, longtemps après les événements.

M. Aumaître faisait alors l’administration dans le canton de Sou-en, à Sai-am-kol. Les bruits de persécution ayant jeté le trouble parmi les chrétiens, il fut obligé d’interrompre son travail, et se rendit près de Mgr Daveluy, dont il était peu éloigné, pour lui demander ses conseils et ses ordres. Mgr Daveluy fit appeler immédiatement M. Huin, qui se trouvait à deux lieues de là, au village de Sei-ko-ri, et ils passèrent, les trois ensemble, un jour entier. En se quittant, ils dirent à quelques chrétiens de confiance qu’ils n’espéraient guère échapper, parce que leur présence était trop connue, et que d’ailleurs la fuite était à peu près impossible dans un pays de plaines comme le Nai-po. Mgr Daveluy resta à Keu-to-ri où la réunion avait eu lieu, M. Aumaître alla à So-tel, village distant d’une lieue et demie, et M. Huin retourna à Sei-ko-ri. Les deux jours suivants, les villages de Keu-to-ri et de So-tel furent envahis et visités jusqu’à sept fois par des bandes de satellites. Mgr Daveluy et M. Aumaître se jetèrent la nuit dans une petite barque, sans aucune espèce de provisions, afin de gagner la mer ; mais un vent contraire s’éleva, pendant deux jours il fut impossible de quitter la rive, et, à la fin, voyant qu’ils étaient encore plus exposés aux recherches des satellites sur cette barque que dans leurs maisons, ils regagnèrent les villages qu’ils avaient quittés.