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disant que sa présence en ce lieu était connue de trop de monde, et que certainement il en résulterait pour eux de grands malheurs. Il céda à leurs craintes, et alla dans un autre village à trois quarts de lieue de distance, chez un chrétien nommé Ni. La cachette semblait très-sûre, mais le missionnaire fut trahi, et le 27 février au matin, une bande de satellites vint droit à la maison de Ni, s’emparer de sa personne. La voix publique a toujours accusé de cette trahison le domestique de M. Beaulieu, nommé Tjiang, nouveau chrétien, baptisé seulement depuis deux ou trois ans, et qui n’était au service du prêtre que depuis quelques mois. Le fait cependant n’est pas absolument certain.

Après avoir fait cette capture, les mêmes satellites se rendirent au village habité par M. Dorie, à une lieue et demie de distance du premier. Toutes les indications nécessaires leur avaient été données, à la capitale même, par le traître Ni Son-i, domestique de Mgr Berneux. M. Dorie, moins avancé que ses confrères dans l’étude de la langue coréenne, s’était fait avec beaucoup plus de facilité aux usages du pays, et était très-aimé des chrétiens. Au premier bruit des événements, il avait ordonné à son domestique de prendre la fuite, et était demeuré seul dans la maison afin de ne compromettre personne. Il fut arrêté à une heure de l’après-midi.

Le lendemain 28, les missionnaires, portés chacun sur une espèce de civière, les mains liées sur la poitrine avec le cordon rouge, et la tête coiffée du bonnet des grands criminels, furent conduits à la capitale. Ce bonnet, de couleur jaune, a de larges bords en toile qui, rabattus, couvrent la figure et le haut du corps, afin que l’on ne puisse ni voir ni être vu. C’est, dit-on, une précaution contre les troubles ou tentatives de révolte que pourrait provoquer l’arrestation de certains criminels dangereux. Devant les juges, MM. Beaulieu et Dorie, expliquèrent en quelques mots pourquoi ils étaient venus en Corée, et leur ferme résolution de mourir pour Dieu ; quant au reste, ils s’excusèrent de répondre parce qu’ils ne connaissaient pas assez la langue. Enfermés d’abord pendant quatre jours à la prison du Keum-pou, ils passèrent par les mêmes formalités, subirent les mêmes interrogatoires, et souffrirent les mêmes tortures que leurs confrères ; après quoi on les transféra au Kou-riou-kan, où ils retrouvèrent Mgr Berneux et M. de Bretenières.

Qui pourrait exprimer le bonheur des quatre missionnaires lorsqu’ils furent ainsi réunis dans ce cachot infect, qui pour eux était le vestibule du ciel ? Qui nous dira leurs félicitations