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« Vous aurez appris par d’autres, mieux renseignés que moi, que nos administrations annuelles produisent toujours de plus en plus de fruit ; nous gagnons sur le paganisme, non-seulement en ce que chaque année nous lui enlevons un millier d’adeptes pour les incorporer dans nos rangs, mais aussi en ce que ceux qui restent païens changent d’idée à notre égard. Cette religion qu’ils détestaient tant, qu’ils croyaient méritoire de détruire, ils la trouvent déjà bonne ou au moins peu nuisible. Si je considère ce qu’était l’opinion publique il y a dix ans, lorsque je suis entré en Corée, et ce qu’elle est actuellement, il me semble que nous avons fait un progrès immense ; les loups sont devenus presque des agneaux ; mandarins et peuple, tous inclinent à la tolérance. Cependant nous ne pouvons oublier que cet esprit peut changer d’un jour à l’autre, et si le gouvernement semble toujours pencher à nous laisser tranquilles, celui qui en ce moment tient dans ses mains les destinées de la Corée, le père de notre jeune roi, est l’homme de tous auquel on peut le moins se lier. C’est un maniaque capable, dans un de ses nombreux coups de tête, de déchaîner sur nous une persécution si violente, que chrétiens et missionnaires aient tous disparu de ce monde avant que vous en ayez la moindre nouvelle. »

Après les fêtes de Noël, à la fin de décembre 1865, les missionnaires, selon la coutume, recommencèrent, chacun de son côté, la visite de leurs chrétientés respectives. Mgr Berneux repartit pour les provinces septentrionales. L’œuvre de Dieu y prenait des développements de plus en plus sensibles, et, en quelques semaines, le prélat eut la consolation de baptiser, dans quatre stations seulement, plus de huit cents adultes. Un pareil succès devait exciter la fureur de l’enfer. Dans la province de Hoang-haï, un mandarin, ennemi déclaré de la religion, fit, on ne sait trop sous quel prétexte, arrêter tous les chrétiens de son district. Pour les forcer à l’apostasie, il employa des tortures si cruelles, que plusieurs en moururent quelques jours après, et d’autres restèrent estropiés pour le reste de leur vie. Aucun d’eux n’ayant voulu apostasier, le mandarin les fit dépouiller de tout ce qu’ils possédaient, fit vendre leurs terres et leurs maisons, et les chassa, nus et sans aucune ressource, hors de son district, avec défense, sous peine de mort, d’y jamais rentrer. Expulsés ainsi, au milieu d’un hiver rigoureux, ils allèrent dans les cantons voisins, mendiant leur nourriture, et donnant à tous l’exemple d’une admirable résignation. Dans la province de Pieng-an, le gouverneur fit arrêter deux chrétiens, uniquement parce qu’ils