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d’une année. Mais si le gouvernement spécule sur les fonctionnaires publics, ceux-ci à leur tour spéculent, sur le peuple ; on ne voit de toutes parts que vexations, qu’augmentation des impôts, et qu’un infâme trafic de la justice. La loi exige bien que les mandarins fassent approuver les augmentations d’impôt par le gouverneur de la province, mais cette loi, comme toutes les autres, n’est nulle part observée. Le gouvernement ne se mêle pas de ces minuties. Tous les actes des fonctionnaires inférieurs sont réputés justes, pourvu que de temps en temps de grosses sommes, produit de leurs exactions, viennent attester leur probité et leur adresse. Les impôts ont pris ainsi, dans le courant de quelques années, des proportions démesurées. Le taux légal des impôts est de sept sapèques par tchien (mesure qui équivaut à peu près à un are), mais maintenant il n’y a pas de district qui paye simplement le taux légal. Dans le canton où je suis, l’impôt est actuellement fixé à quatorze sapèques par tchien ; d’autres localités payent jusqu’à quinze, dix-huit, vingt, ou même vingt-cinq sapèques, suivant le désintéressement ou l’avidité du mandarin.

« Or, au printemps dernier, le mandarin d’un très-grand district situé au sud de la presqu’île, assez près de la mer, porta les impôts au taux monstrueux de quatre-vingt-cinq sapèques par tchien. Le peuple exaspéré usa de son droit en députant un lettré pour aller faire des réclamations à la capitale, près du conseil des ministres. Le mandarin ne pouvait ignorer que l’injustice de sa conduite était trop patente pour que le gouvernement n’en fût très-irrité ; il envoya le chef de ses prétoriens à la poursuite du député du peuple qui s’était déjà mis en route, en lui ordonnant d’empêcher ce voyage à quelque prix que ce fût. Le prétorien fit diligence, rejoignit le député, et ne pouvant, ni par prières, ni par promesses, ni par menaces, le détourner de son voyage, trouva moyen de lui faire avaler de l’arsenic. La victime expira la nuit même, et le peuple apprit sa mort au moment où l’assassin rentrait près de son maître. Aussitôt, on se porte en foule à la maison de ce chef des prétoriens, on se saisit de sa personne, on pénètre dans le prétoire où l’on saisit aussi le tsoa-siou (petit dignitaire des préfectures qui remplace le mandarin absent) ; on traîne ces deux hommes sur une place voisine, et on les brûle vivants sous les yeux du mandarin. Le bruit même a couru qu’on aurait servi à ce misérable un morceau de la chair rôtie de ses deux employés. L’exaspération populaire loin de se calmer, devint de plus en plus menaçante, si bien que le magistrat civil et le mandarin militaire prirent la fuite, et personne