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« Le 26, nous rencontrâmes une douane. Les préposés dormaient, et ceux qu’ils avaient constitués à leur place ne nous dirent rien, ni nous non plus. Je regardai ce petit événement comme un bon augure pour le reste de mon voyage.

« Le 28, nous entrâmes dans le fleuve Kiang, et le 29, nous passâmes près de Nanking, mais sans y pénétrer.

« Le 31, nous descendîmes à terre. Paul, mon premier courrier, voulait s’en retourner ; il avait observé que je montais trop souvent sur le pont de notre barque. « Les rameurs des barques voisines et les gens de la campagne auront pu le voir, disait-il, et le reconnaître pour un Européen ; ce qui nous suscitera de mauvaises affaires. Pour moi, je ne suis point d’humeur à m’exposer à un danger évident, par l’imprudence des autres. » Joseph lui fit un petit discours, il lui promit que je serais plus réservé à l’avenir ; enfin, il fit si bien que le vieillard resta. Quand cette bourrasque fut apaisée, on délibéra sur la manière de voyager : tout le monde convenait qu’il fallait économiser ; la traite était longue et nous avions bien peu d’argent. Joseph pensait qu’il fallait aller à pied et en train de mendiant. Je réclamai contre ce projet : « Il m’est impossible, leur dis-je, de faire cinq cents lieues à pied par un temps si chaud, surtout si nous devons faire dix ou douze lieues par jour, selon notre premier plan. » Jean déclara qu’il avait des vertiges, que de plus il était menacé d’apoplexie : par conséquent il lui fallait une monture. La conclusion fut que nous ferions notre route comme nous pourrions. Paul, comme premier courrier, se chargea d’organiser la caravane. On m’apprit cependant à boire, à manger, à tousser, à me moucher, à marcher, à m’asseoir, etc., à la chinoise ; car les Chinois ne font rien comme nous. Peu après Paul nous amena deux brouettes, l’une pour porter nos effets, l’autre pour traîner un ou deux voyageurs. Je montai sur ma brouette avec un courrier ; les deux autres, assis sur deux ânes, faisaient l’office d’écuyers. Comme on craignait toujours que je ne fusse reconnu, on m’habilla en pauvre chinois, on me donna seulement un pantalon et une chemise sales, un vieux chapeau de paille à grands bords ; on me couvrit les yeux d’un large bandeau noir : on aurait pu me prendre pour un masque. Un costume si bizarre, au lieu d’écarter les curieux, attirait davantage leur attention ; les enfants et d’autres aussi venaient s’agenouiller devant moi pour contempler cette si étrange figure.

« Nous commençâmes donc notre voyage en ce triste équi-