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l’arrivée prochaine d’un vent contraire, vire de bord et revient en toute hâte sur ses pas. Les voisins s’aperçoivent de la manœuvre et se hâtent d’en faire autant, la contagion de l’exemple gagne de proche en proche ; en quelques instants on les voit toutes forcer de voiles pour prévenir les autres au mouillage, qui se trouve bientôt aussi peuplé qu’auparavant. Les jours suivants, la même manœuvre se répète plusieurs fois, et toujours avec le même dénouement. Enfin, après un mois d’attente et d’essais, on se hasarde encore, et, cette fois, on pousse la bordée si loin qu’on n’a plus envie de rebrousser chemin. Pendant quelques jours, nous marchons très-lentement, mais enfin nous allons vers notre but.

« Comme on n’aperçoit que quelques barques éparses dans le lointain de l’horizon, nous nous hâtons de sortir de notre réduit, quand tout à coup le vent du nord vient nous donner le spectacle d’une de ces tempêtes, effrayantes partout, mais qui sont bien autrement terribles lorsqu’on est à les contempler du haut d’une faible barque que le choc des flots semble devoir anéantir à chaque instant. Une rade de la province de Chan-tong nous reçoit fort à propos ; car, quelques heures après, l’ouragan redouble de forces, et le froid devient si intense qu’au milieu de la rade nous sommes entourés par la glace.

« Cependant, en entrant dans la rade, il faut se remettre aux arrêts, tout en disant au bon Dieu, pour actions de grâces : Anima nostra sicut passer erepta est de laqueo venantium : « notre âme a échappé au danger comme le passereau aux filets du chasseur. » C’est qu’en effet nous avons passé, nous dit-on, auprès d’une trentaine de barques de pirates, qui stationnent dans les environs du port, et la divine Providence n’a pas même permis qu’ils nous vissent. Selon l’habitude des Chinois, qui ne peuvent aborder à un port sans y passer huit jours, nous voilà encore condamnés à une captivité d’autant plus étroite, qu’à tout moment notre bord est obstrué par une multitude de païens. Plût à Dieu que ce fût du moins la dernière station ! mais non : la barque doit visiter tous les ports de la côte. On s’éloignera donc de quelques lieues pour aller consumer de nouveau une huitaine à un autre ancrage. Oh ! qu’ils sont lourds, qu’ils sont accablants ces jours passés au fond d’une cale ! Il me paraît qu’on pourrait supporter sans succomber quelques mois d’une captivité assez dure, et pourtant quelques semaines passées dans notre chambre nous abattent complètement. Monseigneur est si faible qu’il ne peut écrire quelques mots ; mon confrère paraît