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interrompait notre navigation. Tous les soirs nous allions passer la nuit dans une anse, sous le canon d’un fort, si toutefois on peut donner un pareil nom à une vieille masure qui n’avait pour toute défense qu’un pauvre mandarin et ses domestiques. Au bas de la forteresse il y avait ordinairement une barque armée en guerre, pour protéger, dit-on, les jonques marchandes des pirateries des forbans, qui infestent ordinairement ces mers dans la onzième et la douzième lune.

« Le 24 janvier 1833, un petit mandarin fut épris de la beauté de notre barque ; il lui prit envie de la mettre en réquisition pour transporter des troupes à Formose. Les Chinois étaient alors en guerre avec les insulaires, qui s’étaient révoltés et avaient égorgé le gouverneur. Heureusement notre mandarin n’avait pas encore reçu l’ordre formel du vice-roi de la province. Nos gens lui donnèrent plusieurs raisons bonnes ou mauvaises ; il eut l’air de s’en contenter. Que serions-nous devenus s’il eût persisté ? Nous priâmes pour avoir un bon vent. Le bon Dieu nous l’accorda ; nous nous échappâmes à la faveur de la nuit.

« Le 25, nous arrivâmes à un poste où deux sommes[1] chinoises avaient été volées la nuit précédente. Les soldats du poste eurent la bonté de nous prévenir et de nous exhorter à faire bonne garde ; mais ils ne promirent pas de nous secourir, ils se contentèrent de faire payer l’ancrage, et se retirèrent.

« Le 26, quelques soldats mutins vinrent à bord visiter notre barque, ils voulaient absolument descendre dans l’endroit où nous étions cachés ; après un long débat, ils parurent persuadés qu’il n’y avait point de marchandise de contrebande ; on s’empressa de leur donner une forte étrenne, ce qui les persuada encore mieux, et ils se retirèrent. Comme il était à craindre qu’ils ne revinssent le lendemain, le capitaine vint nous demander du bon vent, nous nous mîmes en prières, le vent devint favorable, et dès la pointe du jour nous abandonnâmes ce mauvais poste.

« Le 27, nous avions fait justement les deux tiers du voyage, nous fûmes plus d’un mois à faire le reste ; les soldats du poste furent plus honnêtes et moins curieux.

« Le 28, plusieurs barques de pirates, bien armées, nous attaquèrent. Ils commencèrent par enlever deux petites jonques qui s’étaient trop avancées. Comme les gens de l’équipage ne firent point de résistance, ces forbans se contentèrent de leur

  1. On sait que c’est le nom que l’on donne à certaines barques, en Chine et au Tong-king.