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enlevèrent aussitôt. Les serviteurs du mandarin s’approchèrent de moi et me dirent : « C’est la coutume que toute personne parlant au gouverneur s’appelle so-in (petit homme). — Que me dites-vous là ? Je suis grand, je suis noble, je ne connais pas une telle expression. »

« Quelques jours après, le gouverneur me fit comparaître de nouveau et m’accabla de questions sur la Chine ; quelquefois il me parlait par interprète pour savoir si réellement j’étais Chinois ; il finit par m’ordonner d’apostasier. Je haussai les épaules et me mis à sourire en signe de pitié. Les deux chrétiens pris avec moi, vaincus par l’atrocité des tortures, dénoncèrent la maison que j’habitais à la capitale, trahirent Thomas Ni, serviteur de Votre Grandeur, Matthieu son frère et quelques autres. Ils avouèrent que j’avais communiqué avec les jonques chinoises, et que j’avais remis des lettres à l’une d’entre elles. Aussitôt une escouade de satellites fut dirigée vers les jonques et en rapporta les lettres au gouverneur.

« On nous gardait avec une grande sévérité et chacun dans une prison séparée ; quatre soldats veillaient jour et nuit sur nous. Nous avions des chaînes aux pieds et aux mains, et la cangue au cou. Une longue corde était attachée à nos chaînes, et trois hommes la tenaient par le bout, chaque fois qu’il nous fallait satisfaire aux exigences de la nature. Je vous laisse à penser quelles misères j’eus à supporter. Les soldats voyant sur ma poitrine sept cicatrices qu’y avaient laissées des sangsues qu’on m’avait appliquées pendant mon séjour à Macao, disaient que c’était la constellation de la Grande-Ourse, et se divertissaient par mille plaisanteries.

« Dès que le roi sut notre arrestation, il envoya des satellites pour nous conduire à la capitale ; on lui avait annoncé que j’étais Chinois. Pendant la route nous étions liés comme dans la prison ; de plus nous avions las bras garrottés d’une corde rouge, comme c’est la coutume pour les voleurs et les grands criminels, et la tête couverte d’un sac de toile noirâtre. Chemin faisant, nous eûmes à supporter de grandes fatigues : la foule nous obsédait. Je passais pour étranger, et l’on montait sur les arbres et sur les maisons pour me voir. Arrivés à Séoul, nous fûmes jetés dans la prison des voleurs. Les gens du prétoire, entendant mon langage, disaient que j’étais certainement Coréen. Le jour suivant, je comparus devant les juges, ils me demandèrent qui j’étais. « Je suis Coréen, » leur répondis-je, « j’ai été élevé en Chine. » On fit venir des interprètes de langue chinoise pour s’entretenir avec moi.