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« L’équipage était digne du navire, il se composait du P. André Kim, que j’avais ordonné prêtre quelques jours auparavant, et qui était notre capitaine ; vous devinez facilement la portée de sa science nautique ; plus, d’un batelier, qui nous servait de pilote, d’un menuisier, qui remplissait les fonctions de charpentier ; le reste avait été pris pêle-mêle dans la classe agricole. En tout douze hommes. N’est-ce pas là un équipage improvisé ? Cependant, parmi ces braves gens se trouvaient des confesseurs de la foi, des pères, des fils, des frères de martyrs. Nous nommâmes notre barque le Raphaël.

« Vous avez appris les dangers qu’elle courut pour se rendre en Chine et y demeurer sans être capturée. Son départ nous offrait une autre difficulté ; c’était, pour M. Daveluy et moi, de monter à son bord à l’insu des mandarins qui la faisaient surveiller sans relâche. Le dernier jour du mois d’août, vers le soir, elle quitta le port de Chang-haï, descendit dans le canal à la faveur de la marée, et vint mouiller en face de la résidence de Mgr de Bézi, où nous l’attendions. Un instant après, une chaloupe du gouvernement, qui l’avait suivie de loin, jeta l’ancre auprès d’elle. Toutefois, ce contre-temps n’empêcha pas le P. André de descendre à terre, et de venir nous avertir. Le ciel était couvert, la nuit était sombre, tout semblait nous favoriser. Mgr de Bézi qui, depuis notre arrivée au Kiang-nan, nous avait prodigué l’hospitalité la plus généreuse, eut encore la bonté de nous accompagner jusqu’à la barque. La chaloupe du mandarin, emportée probablement par le courant, s’était un peu écartée ; nous eûmes donc la liberté de monter à bord sans que personne nous aperçût.

« Le lendemain nous allâmes mouiller à l’embouchure du canal, auprès d’une jonque chinoise, qui faisait voile pour le Léao-tong ; elle appartenait à un chrétien qui nous avait promis de nous remorquer jusqu’à la hauteur du Chan-tong. M. Faivre, missionnaire lazariste, se trouvait sur la jonque ; il allait en Mongolie. Les premiers jours de septembre furent pluvieux, les vents nous étaient contraires et soufflaient avec violence : trois fois nous essayâmes de gagner le large, trois fois nous fûmes contraints de revenir au port. En pleine mer, il est rare que le Chinois coure des bordées contre le vent ; au lieu de louvoyer, il retourne au plus proche mouillage, serait-il à cent lieues de distance.

« Près de l’île de Tsong-min se trouve une rade sûre ; plus de cent navires, qui devaient se rendre dans le nord, y étaient à l’ancre, attendant une brise favorable ; nous allâmes nous y réfugier. Le capitaine de la jonque chinoise nous invita à célébrer,