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« Cette scène douloureuse déchira le cœur du jeune prêtre, mais elle n’ébranla pas son courage. Voyant qu’il sollicitait en vain la bénédiction de sa mère, il se leva brusquement et sortit. Alors cette mère désolée se mit à sa poursuite, à travers les champs, continuant de pousser des sanglots et des cris : son fils l’entendit, retourna sur ses pas et vint demander de nouveau la bénédiction maternelle. Vaincue cette fois par une grâce toute-puissante, tremblant de résister à la volonté de Dieu, la courageuse chrétienne fit son sacrifice, et dit à celui qui devait être la gloire et le bonheur de sa famille : « Oui, mon enfant, puisque le bon Dieu le veut ainsi, va, et que tous les saints anges du ciel t’accompagnent. »

« M. Chastan, quoique inflexible dans sa résolution, fortifié qu’il était par ces paroles de l’Évangile : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi, » n’en sentit pas moins toute la puissance de l’affection filiale, et combien il en coûte de briser des liens si intimes et si forts. Aussi écrivait-il de Paris, le 22 mars de l’année suivante : « Ce n’est pas peu de chose que de s’arracher d’entre les bras d’une mère, d’un père, de frères et de sœurs qu’on aime et que probablement on ne doit plus revoir. Je l’ai éprouvé, et, si la grâce ne m’eût soutenu, j’eusse infailliblement succombé. Ma mère ne voulait pas me pardonner, et ce ne fut qu’après que je l’en eus conjurée pendant longtemps et que j’eus mêlé mes larmes aux siennes qu’elle se résigna enfin à faire le sacrifice qui déchirait son cœur. J’ai eu la consolation d’apprendre qu’ils sont tous résignés au bon plaisir de Dieu, et qu’ils s’estiment heureux d’avoir fait ce sacrifice. »

M. Chastan partit de Digne, immédiatement après son retour de Marcoux, et se rendit à Paris, au séminaire des Missions-Étrangères, où il arriva le 13 janvier 1827. Après quelques mois seulement d’épreuve, il reçut sa destination le mois de mai suivant, et alla s’embarquer à Bordeaux, avec quatre autres missionnaires, dont trois des Missions-Étrangères qui se rendaient en Cochinchine, et un franciscain italien envoyé par la Propagande à la province du Chen-si. Le voyage fut très-long et très-malheureux. Leur navire ayant échoué sur un banc de sable, près de l’île de Balabac, dont les habitants sont anthropophages, subit, pendant trois jours que dura la tempête, de si violentes secousses, qu’ils s’attendaient à chaque minute à le voir se briser. Ils gagnèrent ensuite avec beaucoup de peine les côtes de Cochinchine où ils furent obligés de rester neuf mois, car le