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locales. C’est pour eux une question de vie ou de mort, car la plupart n’ont pas de paye régulière, et ceux qui en ont une, ne la peuvent toucher que très-rarement. Forcés d’une part de satisfaire, aux dépens du peuple, l’avidité insatiable des mandarins, et d’autre part, obligés de dépenser beaucoup pour leur entretien et celui de leurs familles, ils ne vivent que des fraudes et des exactions qu’ils commettent pour leur propre compte. S’ils laissaient connaître au mandarin les ressources secrètes qu’ils savent ainsi exploiter, celui-ci s’en emparerait immédiatement, et il ne leur resterait qu’à mourir de faim. « Si l’on avait le malheur, disait un jour un prétorien à l’un des catéchistes de Mgr Daveluy, si l’on avait le malheur de donner une fois au mandarin quelque chose de très-bon, il en voudrait toujours, et comme nous serions dans l’impossibilité de le satisfaire, il nous ferait assommer. »

L’aventure suivante, arrivée il y a quelques années dans la province de Kieng-keï, montre bien ce que sont les prétoriens, et ce qu’ils peuvent. Dans une ville assez importante fut envoyé un mandarin honnête et capable, qui, non content de maintenir énergiquement ses subordonnés dans le devoir, manifesta l’intention d’examiner et de punir toutes les malversations dont ils s’étaient auparavant rendus coupables. La plupart étaient gravement compromis, quelques-uns même risquaient d’être condamnés à mort. Leurs ruses ordinaires, leurs intrigues, leurs faux témoignages, ne pouvaient parer le coup, et l’effroi était grand parmi eux, quand ils apprirent que des inspecteurs royaux, déguisés, parcouraient alors la province. En découvrir un, le suivre, le surveiller fut chose facile, et ils organisèrent de suite leur complot. Comme il n’est pas rare que des bandits intelligents et audacieux se fassent passer pour e-sa ou inspecteurs royaux et rançonnent des districts entiers, il fallait persuader au mandarin que l’inspecteur dont on avait découvert la trace était de ce nombre, et obtenir la permission de l’arrêter. Ceux qui garrotteraient l’envoyé royal seraient très-probablement mis à mort ; mais, en revanche, le mandarin serait certainement dégradé, en vertu de ce principe que, s’il gouvernait bien, des désordres aussi monstrueux que l’arrestation officielle d’un grand dignitaire seraient impossibles. Le mandarin une fois écarté, les autres prétoriens n’auraient plus rien à craindre. On tira au sort les noms de ceux qui devaient se sacrifier pour le salut commun, et le soir même la pétition fut présentée au mandarin. Il refusa d’abord de la recevoir ; mais les prétoriens ne cessant de lui répéter