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relâcher tous, mais ce coquin-là est un de vos chefs, et s’il n’apostasie pas, je ne mettrai personne en liberté. » Aussitôt tous les prisonniers éclatèrent en murmures contre Laurent, lui faisant mille instances, le molestant et l’obsédant de telle sorte qu’à la fin, ne pouvant plus y tenir, il prononça comme eux une formule d’apostasie.

On les relâcha immédiatement et ils sortirent tons ensemble. Laurent les renvoya chacun de son côté, leur recommandant de s’enfuir en toute hâte. Resté seul, il attendit pour leur donner le temps de se mettre en sûreté, puis retourna devant le mandarin, se rétracta, et se montra de nouveau déterminé à mourir. Les supplices ne lui manquèrent pas : mais il les supporta sans faiblir, et on finit par l’envoyer au juge criminel de T’siong-tsiou.

Comme il montrait toujours la même fermeté, le juge porta contre lui une sentence de mort, laquelle fut ensuite, on ne sait pourquoi, changée en condamnation à l’exil. Laurent réclama en plein tribunal disant que, selon la loi, il devait mourir, mais on ne l’écouta point, et on l’expédia à Mou-san, à l’extrémité septentrionale de la province de Ham-kieng. En l’envoyant, le juge dit aux satellites : « Cet individu pourrait bien, pendant la route, infatuer de sa doctrine quelques hommes du peuple. Soyez sur vos gardes et surveillez-le. « Laurent répondit : « Dans la route je veux convertir seulement dix mille personnes. » Arrivé au lieu de son exil, il se mit à pratiquer sa religion ostensiblement, et à la prêcher à tous ceux qui l’approchaient, satellites ou gens du peuple, ce qui irrita beaucoup le mandarin et ses gens. Aussi Laurent fut-il, quelque temps après, enfermé dans une maison avec défense de sortir ; puis on finit par ne plus lui donner de nourriture. Quelques jours se passèrent, et, ne pouvant plus supporter la faim et la soif qui le dévoraient, il demanda instamment qu’on lui apportât quelque chose. On détrempa alors de la farine de riz, avec une égale quantité de sel, et on en forma des gâteaux qu’on lui offrit. Son estomac déjà ruiné par un long jeûne ne put supporter cet horrible mets, et, avant d’en avoir pris la moitié, le confesseur expira, comme l’avaient prévu ses bourreaux. C’était vers la douzième lune de cette année, ou, selon d’autres, à la troisième lune de l’année mou-tsa (1828). Laurent était alors âgé de trente-cinq à quarante ans.

Telle est, sur cette affaire de Tsiong-tsieng, la version qui nous a paru la plus digne de foi. Nous n’avons pas cru devoir passer ces faits sous silence, quoique le manque de témoignages