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coulèrent de mes yeux, quand je vis cette route que je commençais. Puis je pensai en moi-même : « Jésus-Christ a bien daigné faire route chargé de sa croix, pourquoi donc refuserais-je de faire ce voyage ? Non, je veux suivre Jésus pas à pas. » Cette pensée me rendit des forces. Nous faisions, chaque jour, un chemin de 100 lys (dix lieues), et, le 28, au soir, j’entrai à la préfecture de police de Tsien-tsiou, où, après quelques instants de repos, je fus introduit devant le juge. Il était entouré d’une vingtaine de serviteurs, dont les torches jetaient une vive lumière. Cette scène me rappelait Notre Seigneur Jésus lorsqu’il fut pris au jardin des Olives. On me demanda seulement mes noms, prénoms, et ceux de quelques-uns de mes aïeux, et je fus reconduit aussitôt. Le riz me fut servi bien convenablement dans un appartement chaud, mais après en avoir pris trois ou quatre cuillerées, je ne pus continuer. Je m’étendis à terre pour dormir, on inséra mes pieds et mes mains entre deux barres de fer, et me passant au cou une grande cangue, on m’enferma. La nuit se passa sans sommeil ; mes idées toutes confuses ne pouvaient s’arrêter à rien.

« Dès le lendemain, quand le jour parut, je fus cité au tribunal et le juge me dit : « Combien as-tu dessiné de tableaux ? Combien as-tu de livres et quels sont tes complices ? » Je répondis sans détour. Je déclarai quelques tableaux livrés autrefois à Tsio-siouk-i, et deux donnés à Seng-tsip-i qui m’avait dénoncé. « En fait de complices, ajoutai-je, je n’en ai point. Resté seul d’une famille ruinée, mes parents et amis m’ont tous délaissé. Il n’y a pas jusqu’aux roturiers qui ne me méprisent et ne me crachent à la figure. Je n’ai donc plus d’amis, comment pourrais-je avoir ce que vous appelez des complices ? Enfin quant aux livres : j’ai été instruit entièrement de vive voix, et mes livres sont seulement gravés dans mon cœur. Je n’en ai pas d’autres. — Tu me trompes. Parmi vous les roturiers ignorants ont eux-mêmes chacun trente ou quarante volumes, et toi, tu n’en aurais pas ? Battez-le fortement. — Dussé-je mourir sous les coups, je n’ai ni complices, ni livres.» Ayant fait apporter ensuite une quantité d’images, de verres, de tableaux, d’Agnus Dei, et de médailles, il me dit : « Ces peintures sont-elles de toi ? » Je répondis affirmativement et on me remit en prison. Le juge se rendit de suite chez le gouverneur, et après quelque temps, on me fit passer dans une salle voisine du tribunal. Pendant que j’attendais, la pensée de ma sœur jugée et martyrisée en 1801 dans cette même ville de Tsien-tsiou, me revint a l’esprit. « Oui, me dis-je,