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des rois, doivent jouir d’un grand pouvoir. C’est tout l’opposé. Le despotisme est, par essence, soupçonneux et jaloux de toute influence étrangère, et jamais les princes ne sont appelés à remplir aucune fonction importante, ni à se mêler des affaires. S’ils ne se tiennent pas rigoureusement à l’écart, ils s’exposent à être accusés, sous le plus frivole prétexte, de tentative de rébellion, et ces accusations trouvent facilement crédit. Il arrive très-fréquemment que ces princes sont condamnés à mort par suite d’intrigues de cour, même quand ils vivent dans la retraite et le silence. Dans les soixante dernières années, quoique la famille royale compte très-peu de membres, trois princes ont été ainsi exécutés.

Au reste, la puissance royale, quoique toujours suprême en théorie, est maintenant, en fait, bien diminuée. Les grandes familles aristocratiques, profitant de plusieurs régences successives et du passage sur le trône de deux ou trois souverains insignifiants, ont absorbé presque toute l’autorité. Les Coréens commencent à répéter que le roi ne voit rien, ne sait rien, ne peut rien. Ils représentent l’état actuel des choses sous les traits d’un homme dont la tête et les jambes sont complètement desséchées, tandis que la poitrine et le ventre, gonflés outre mesure, menacent de crever au premier moment. La tête, c’est le roi ; les jambes et les pieds représentent le peuple ; la poitrine et le ventre signifient les grands fonctionnaires et la noblesse qui, en haut, ruinent le roi et le réduisent à rien, en bas, sucent le sang du peuple. Les missionnaires ont eu en main cette caricature, et ils disent que les éléments de rébellion vont chaque jour se multipliant, que le peuple, de plus en plus pressuré, prêtera facilement l’oreille aux premiers révoltés qui l’appelleront au pillage, et que la moindre étincelle allumera infailliblement un incendie dont il est impossible de calculer les suites.

Ce que l’on appelle en Corée palais royaux sont de misérables maisons qu’un rentier parisien un peu à son aise ne voudrait pas habiter. Ces palais sont remplis de femmes et d’eunuques. Outre les reines et les concubines royales, il y a un grand nombre de servantes que l’on appelle filles du palais. On les ramasse de force dans tout le pays, et une fois accaparées pour le service de la cour, elles doivent, sauf le cas de maladie grave ou inguérissable, y demeurer toute leur vie. Elles ne peuvent pas se marier, à moins que le roi ne les prenne pour concubines ; elles sont condamnées à une continence perpétuelle, et si l’on prouve qu’elles y ont manqué, leur faute est punie par l’exil, quelque-