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n’avait aucunement changé, et que ses membres conservaient la flexibilité et la fraîcheur de la vie.

Le martyre suivant qui, selon toute probabilité, eut lieu presque le même jour, est pour nous d’un intérêt particulier. Chez les peuples chrétiens, on est tellement habitué à reconnaître l’égalité devant Dieu de tous les hommes quels qu’ils soient, grands ou petits, nobles ou roturiers, riches ou pauvres, que l’on est tenté de regarder cette notion comme toute naturelle. On oublie trop facilement que c’est Jésus-Christ seul qui nous a révélé cette égalité, en nous apprenant que tous nous sommes appelés à être fils de Dieu. Mais dans tous les pays infidèles, aujourd’hui en Corée comme autrefois à Rome et dans la Grèce, ce qui est naturel, c’est le mépris de l’homme pour l’homme ; l’égalité chrétienne, au contraire, est maintenant comme jadis, le dogme de l’Évangile le plus révoltant pour l’orgueil des païens. Aussi, pour l’instruction et l’édification des néophytes de Corée, Dieu daigna-t-il montrer sa souveraine indépendance dans la distribution de ses dons, en choisissant un de ses plus glorieux martyrs dans la classe la plus infime et la plus avilie du pays.

Alexis Hoang Il-koang-i, né à Hong-tsiou, dans le Nai-po, était de la caste des abatteurs de bœufs, caste tellement méprisée en Corée, que ceux qui en font partie sont mis au-dessous des esclaves. On les regarde comme des êtres dégradés, en dehors de l’humanité ; ils sont forcés de se faire des habitations à part, loin des villes ou villages, et ne peuvent avoir avec personne les relations ordinaires de la vie.

L’enfance et la jeunesse d’Alexis se passèrent dans sa famille, au milieu des insultes et des rebuts de tous, triste héritage que recueillent, de race en race, ceux de sa condition. La Providence, comme pour l’en dédommager, lui avait donné une intelligence remarquable, un esprit vif, un cœur ardent, un caractère plein de gaieté et de franchise. À peine fut-il instruit de la religion, qu’il l’embrassa de grand cœur, et pour la pratiquer plus librement, quitta son pays avec son frère cadet, et alla s’établir au loin, dans la province de Kieng-siang. Là, cachant son extraction aux païens, il avait plus de facilité pour communiquer avec les chrétiens. Ceux-ci connaissaient bien son origine, mais loin de lui en faire un reproche, ils s’empressaient par charité de le traiter en frère. Partout, même chez les nobles, il était reçu dans l’intérieur des appartements, sur le même pied que tous les fidèles ; ce qui lui faisait dire plaisamment que, pour lui, il y avait deux paradis,