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bles ? dit l’autre. Il y a quelques nuits, j’ai vu le corps de mon père se lever, marcher droit au tombeau de madame votre mère… je n’ose achever ; mais dès le matin, j’ai planté cette haie pour empêcher une aussi scandaleuse profanation. » Le noble, à moitié mort de honte, ne répondit pas un mot. Le soir même, il fit enlever le cercueil de sa mère, et le transporta ailleurs.

Aussitôt après la mort, on fabrique la tablette dans laquelle doit venir résider l’âme du défunt. Ces tablettes sont généralement en bois de châtaignier, et l’arbre doit être tiré des forêts les plus éloignées de toute habitation humaine, ce que les Coréens expriment par ces mots : « Pour les tablettes il faut un bois qui, de son vivant (avant d’être coupé), n’ait jamais entendu ni l’aboiement du chien, ni le chant du coq. » Cette tablette est une petite planche plate que l’on peint avec du blanc de céruse, et sur laquelle on inscrit en caractères chinois le nom du défunt. Sur le côté, on pratique des trous par lesquels doit entrer l’âme. La tablette, placée dans une boîte carrée, se conserve : chez les riches, dans une chambre ou salle spéciale : chez les gens du peuple dans une espèce de niche, au coin de la maison. Les pauvres font leurs tablettes en papier. Pendant les vingt-sept mois du deuil, les sacrifices se font tous les jours devant ces tablettes. On se prosterne le front dans la poussière ; on offre divers mets préparés avec soin, du tabac à fumer, et de l’encens. Après le deuil, on continue à offrir ces sacrifices plusieurs fois par mois, à des jours fixés par la loi et l’usage, soit devant les tablettes, soit sur le tombeau. À la quatrième génération, on enterre les tablettes, et le culte cesse définitivement, si ce n’est pour les hommes extraordinaires dont les tablettes se conservent à perpétuité.

Outre ce culte des ancêtres, commun à tous les Coréens, les lettrés et les nobles ont celui de Confucius et des grands hommes, auxquels ils offrent des sacrifices dans des temples spéciaux, non pas qu’ils les regardent comme des dieux, mais parce que, dans leur opinion, ils sont devenus des esprits ou génies tutélaires. Mais qu’entendent-ils par là ? il est difficile de le savoir. « Dans ce pays, écrit Mgr Daveluy, on n’a pas de notions exactes sur la distinction de l’âme et du corps, ni sur la spiritualité de l’âme. Les mots : hon, sin, lieng, etc…, consacrés dans nos livres chrétiens pour désigner l’âme et sa nature, ne sont appliqués par les païens qu’aux esprits ou génies et aux âmes des défunts. Un païen, assez instruit d’ailleurs, à qui je disais que chaque homme a une âme, ne voulut pas l’admettre. Pour nous autres, disait-il, ce qui nous meut et nous anime se dissipe