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n’avais pas à choisir, et je me cramponnais le mieux possible à ma corde, lorsqu’enfin, lasses de me voiturer ainsi, les cigognes allèrent s’abattre dans une vaste plaine déserte.

« Je n’eus rien de plus pressé que de les délivrer en me délivrant moi-même. Je revivais ; mais étais-je en Corée ? ou m’avaient-elles transporté aux derniers confins du monde ? C’est ce qu’il m’était impossible de savoir. De plus, parti inopinément pour un voyage si long, je n’avais pu faire aucune provision, et, à peine redescendu en ce bas monde, je me sentis dévoré d’une faim canine ; mais la solitude m’environnait de toutes parts. Pestant contre moi-même et contre les cigognes, je me dirigeai machinalement vers un énorme roc qui dominait toute la plaine et dont la cime semblait toucher les cieux. J’arrivai tout auprès, et à mon grand étonnement, ce que j’avais pris pour un roc ne fut plus qu’une statue colossale dont la tête s’élevait à perte de vue. Chose plus admirable encore, un grand poirier chargé de fruits magnifiques avait pris racine et s’élevait majestueusement sur la tête du colosse. La vue seule de ces fruits faisait découler dans mon estomac je ne sais quelle douce liqueur qui paraissait me faire grand bien, et excitait d’autant plus mon appétit : mais comment les cueillir ? comment atteindre à cette hauteur démesurée ? La nécessité fut, dit-on, la mère de l’industrie. La plaine était couverte de roseaux. La pensée me vint d’en couper une grande quantité, puis, les enfilant les uns au bout des autres, je fabriquai une perche aussi longue que la hauteur de la statue. Alors, enfonçant l’extrémité dans les narines du colosse, je poussai tant et si bien, que la gigantesque tête de la statue, prise d’un éternuement formidable, s’agita dans des convulsions terribles, et secoua si fortement le poirier que toutes les poires tombèrent à mes pieds. La bonté en égalait la beauté ; je me rassasiai de ces fruits succulents, puis j’allai à la découverte du pays. J’appris bientôt que le lieu où je me trouvais était le district d’Eun-tsin (province de Tsiong-Tsieng, à quatre cents lys de la capitale), et sans tarder, je repris le chemin de Séoul, où me voici enfin revenu. Cependant je dois avouer que, quoique étourdi par la rapide succession de tant d’événements extraordinaires, je n’oubliai pas un instant Votre Excellence, et, en preuve, voici une de ces poires que j’ai soigneusement conservée pour vous en faire connaître la suavité, plutôt que pour appuyer la vérité de mon étrange histoire. » En même temps le moun-kaik plaça dans les mains du ministre une énorme poire. Le ministre