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ce qu’ils ont emprunté. Quand ils achètent à un homme du peuple un champ ou une maison, ils se dispensent le plus souvent de payer, et il n’y a pas un mandarin capable d’arrêter ce brigandage.

D’après la loi et les coutumes, on doit à un noble quel qu’il soit, riche ou pauvre, savant ou ignorant, toutes les marques possibles de respect. Nul n’ose approcher de sa personne, et le satellite qui oserait mettre la main sur lui, même par erreur, serait sévèrement puni. Sa demeure est un lieu sacré ; entrer même dans la cour serait un crime, excepté pour les femmes, qui, de quelque rang ou quelque condition qu’elles soient, peuvent pénétrer partout. Un homme du peuple qui voyage à cheval doit mettre pied à terre en longeant la maison d’un noble. Dans les auberges, on n’ose ni l’interroger, ni même le regarder ; on ne peut fumer devant lui, et on est tenu de lui laisser la meilleure place, et de se gêner pour qu’il soit à son aise. En route, un noble à cheval fait descendre tous les cavaliers plébéiens ; ordinairement ils le font d’eux-mêmes, mais au besoin on les presse à coups de bâton, et s’ils résistent, on les culbute de force dans la poussière ou dans la boue. Un noble ne peut aller seul à cheval ; il lui faut un valet pour conduire l’animal par la bride, et, selon ses moyens, un ou plusieurs suivants. Aussi va-t-il toujours au pas, sans trotter ou galoper jamais.

Les nobles sont très-pointilleux sur toutes leurs prérogatives, et quelquefois se vengent cruellement du moindre manque de respect. On cite le fait suivant d’un d’entre eux qui, réduit à la misère et pauvrement vêtu, passait dans le voisinage d’une préfecture. Quatre satellites, lancés à la recherche d’un voleur, le rencontrèrent, conçurent quelques soupçons à sa mine, et lui demandèrent assez cavalièrement s’il ne serait point leur homme. « Oui, répondit-il, et si vous voulez m’accompagner à ma maison, je vous indiquerai mes complices, et vous montrerai le lieu où sont cachés les objets volés. » Les satellites le suivirent, mais à peine arrivé chez lui, le noble appelant ses esclaves et quelques amis, les fit saisir, et après les avoir roués de coups, fit crever les deux yeux à trois d’entre eux, et un œil au quatrième, et les renvoya en leur criant : « Voilà pour vous apprendre à y voir plus clair une autre fois, je vous laisse un œil afin que vous puissiez retourner chez le mandarin. » Il va sans dire que cet acte de barbarie sauvage est demeuré impuni. De semblables exemples ne sont pas rares, aussi le peuple, surtout dans les campagnes, redoute les nobles comme le feu. On effraye les