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La proposition d’Ado ne dissipe pas toutes les brumes du vivoir. Il faut plus que la nourriture pour donner la paix aux hommes.

Quand on eut terminé les préparatifs de l’excursion, il fallut bien se réunir autour de l’âtre. Noël, plongé dans la lecture de Menaud, ravivait sa ferveur.

— Que lisez-vous de si intéressant ? demanda Mimi.

— Oh ! pas grand-chose : un livre canadien.

Madame Legendre s’interposa :

— On dit que vous lisez agréablement, Noël ?

— Oh ! Madame…

— Pourquoi ne nous liriez-vous pas un chapitre ?

— C’est ça, c’est ça ! Lis-nous un chapitre, Noël.

Monsieur Legendre, dans son fauteuil de rotin, haussa les épaules avec indifférence.

— Je vous lirai la noyade de Joson.

Noël serait capable de grands éclats ; les larmes ne lui coûteraient guère, mais il ne recherche pas l’effet. Il lit posément, sans tension. Son effort vise, en s’agrippant au texte, à maîtriser les réserves sonores et lyriques dont il n’entend user qu’à bon escient. Le timbre de sa voix passe au grave à mesure qu’il progresse dans la tragédie de Joson. Il pénètre sous la tente avec les draveurs lourds de travail et d’ennui, le cœur gros des pays d’en-bas. Le feu attise des rêves au creux des visages fourbus, et le violon d’Alexis geint comme le bois vert qui chuinte dans la flamme ; l’archet court à toute allure sur les cordes, à la poursuite d’un espoir impossible ; le destin a fixé le jour et l’heure de Joson. Que les billes se heurtent avec fracas maintenant dans l’écume mauvaise de la rivière,