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nous font jouer la tragédie au dehors, et les jésuites la comédie au dedans. L’évacuation du collège de Clermont nous occupe beaucoup plus que celle de la Martinique. Par ma foi, ceci est très sérieux ; et les classes du parlement n’y vont pas de main morte. Ce sont des fanatiques qui en égorgent d’autres ; mais il faut les laisser faire : tous ces imbéciles qui croient servir la religion, servent la raison sans s’en douter ; ce sont des exécuteurs de la haute justice, pour la philosophie, dont ils prennent les ordres sans le savoir ; et les jésuites pourraient dire à S. Ignace : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. Ce qui me paraît singulier, c’est que la destruction de ces fantômes, qu’on croyait si redoutables, se fasse avec aussi peu de bruit. La prise du château d’Arensberg n’a pas plus coûté aux Hanovriens que la prise des biens des jésuites à nos seigneurs du parlement. On se contente, à l’ordinaire, d’en plaisanter. On dit que Jésus-Christ est un pauvre capitaine réformé, qui a perdu sa compagnie. Il n’y a pas jusqu’aux sulpiciens qui ne s’avisent aussi d’être plaisants. Le curé de Saint-Sulpice, qui n’est pourtant pas un homme à bons mots, dit qu’il n’ose demander pour son petit séminaire la maison du noviciat des jésuites, parce qu’il a peur des revenants. Quant au P. de La Tour, il se croit pour le moins Caton et Socrate : Il en arrivera, dit-il, tout ce qui plaira à Dieu, je n’en serai pas moins l’être le plus vertueux qui existe. Cela me fait souvenir de l’abbé de Dangeau, qui disait, dans le temps de nos malheurs à Hochstet et à Ramillies : Il en arrivera ce qu’il pourra, j’ai là-dedans, en montrant son bureau, trois mille verbes bien conjugués.

Votre parlement de Toulouse, qui ne se presse pas de chasser les jésuites, comme il ne s’en pressa pas du temps de l’assassinat d’Henri IV, et qui en attendant fait rouer des innocents, ressemble, s’il est permis de rire en matière si triste, à ce capitaine suisse qui faisait enterrer les blessés pour morts, et qui s’écriait sur leurs plaintes : Bon, bon, si on voulait en croire tous ces gens-là, il n’y en aurait pas un de mort.

Écrasez l’inf…, me répétez-vous sans cesse : eh, mon Dieu ! laissez-la se précipiter elle-même ; elle y court plus vite que vous ne pensez. Savez-vous ce que dit Astruc ? Ce ne sont point les jansénistes qui tuent les jésuites, c’est l’Encyclopédie, mordieu, c’est l’Encyclopédie. Il pourrait bien en être quelque chose, et ce maroufle d’Astruc est comme Pasquin, il parle quelquefois d’assez bon sens. Pour moi qui vois tout, en ce moment, couleur de rose, je vois d’ici les jansénistes mourant l’année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année-ci les jésuites de mort violente ; la tolérance s’établir ; les pro-