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eût été meilleure en quatre ou même en trois ; mais voilà ce que fait la superstition des règles. Il me semble que les auteurs dramatiques sont pour les règles comme les Français sont pour les impôts ; ils y obéissent en murmurant.

Que dites-vous de l’état fâcheux de votre ancien disciple ? Il y a longtemps que je n’en ai reçu de nouvelles ; vous écrit-il toujours ? Je le crois aux abois, et c’est grand dommage ; la philosophie ne retrouvera pas aisément un prince tolérant comme lui par indifférence, ce qui est la bonne manière de l’être, et l’ennemi de la superstition et du fanatisme.

On dit que vos bons amis et les miens vont avoir un vicaire-général en France ; on ajoute qu’ils en sont très mécontents : leur principale raison pour se plaindre est que, si on leur donne ce vicaire, ils ne seront plus rien ; c’est précisément ce qu’il faut qu’ils soient.

Je fais mon compliment, non à vous, mais au gouvernement, sur la pension qu’on vient de vous rendre. Si on n’en donnait qu’à des gens comme vous, l’État donnerait beaucoup moins, et encouragerait beaucoup plus.

Adieu, mon cher philosophe ; portez-vous bien, écrivez-moi quelquefois, et surtout moquez-vous de tout, car il n’y a que cela de solide. Le vicaire-général des jésuites fait dire qu’au moyen de cet arrangement, il va y avoir en France un vice-général de plus : voilà de quoi vivent les Parisiens.


Paris, 31 mars 1762.


Un malentendu a été cause, mon cher philosophe, que je n’ai reçu que depuis peu de jours l’ouvrage de Jean Meslier, que vous m’aviez adressé il y a près d’un mois ; j’attendais que je l’eusse pour vous écrire. Il me semble qu’on pourrait mettre sur la tombe de ce curé : Ci-gît un fort honnête prêtre, curé de village, en Champagne, qui, en mourant, a demandé pardon à Dieu d’avoir été chrétien, et qui a prouvé par là que quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois ne font pas cent bêtes. Je soupçonne que l’extrait de son ouvrage est d’un Suisse qui entend fort bien le français, quoiqu’il affecte de le parler mal. Cela est net, pressant et serré, et je bénis l’auteur de l’extrait, quel qu’il puisse être.

C’est du Seigneur la vigne travailler.

Après tout, mon cher philosophe, encore un peu de temps, et je ne sais si tous ces livres seront nécessaires, et si le genre