Je suis, monsieur, pénétré au-delà de toute expression, des marques de bonté dont sa majesté me comble sans cesse : mon tendre et respectueux attachement et ma reconnaissance, qui ne finira qu’avec ma vie, ne peuvent m’acquitter envers elle que bien faiblement ; aussi ne doit-elle point douter du désir extrême que j’aurais d’aller lui témoigner des sentiments si vrais et si justes, supérieurs encore à mon admiration pour elle. Heureux si, par ces sentiments et par ma conduite, je pouvais contribuer à effacer, à affaiblir du moins les idées désavantageuses qu’elle a conçues, avec justice, de quelques hommes de lettres de ma nation. Mais quand je n’aurais pas, monsieur, d’aussi puissantes raisons pour souhaiter avec empressement de faire ma cour à sa majesté, et d’aller mettre à ses pieds mes profonds respects, le désir seul de voir un monarque tel que lui, serait pour moi un motif plus que suffisant. Je ne prétends pas faire valoir ce désir auprès de sa majesté ; il m’est commun avec tout ce qu’il y a en Europe de gens qui pensent : le commerce et l’entretien d’un prince aussi célèbre et aussi rare, sont assurément le plus digne objet des voyages d’un philosophe. Je ne désire de vivre, monsieur, que dans l’espérance de jouir un jour de cet avantage : je ne désirerais d’être riche que pour en jouir souvent ; et je n’ai d’autres regrets que ne pouvoir accepter sur-le-champ les offres généreuses et pleines de bonté que sa majesté veut bien me faire ; mais je me trouve arrêté par des liens qui m’obligent de différer un voyage aussi agréable et aussi flatteur. Ces liens, monsieur, sont les engagements que j’ai pris pour l’Encyclopédie, et qu’il ne m’est pas possible ni de rompre ni de suspendre : l’ouvrage paraît attirer de plus en plus l’attention du public et même de l’Europe, et mérite par là tous nos soins. Les circonstances où nous nous sommes trouvés, et le désir de perfectionner ce dictionnaire le plus qu’il nous est possible, nous ont forcés de retarder la publication de chaque volume ; mais nous devons au moins à nos engagements, à l’empressement et à la confiance de la nation, et aux avances considérables des libraires, de ne rien faire qui puisse ajouter de nouveaux obstacles à l’Encyclopédie. Dans cette position, monsieur, je vois avec beaucoup de peine que mon voyage et mon séjour à Berlin seraient nécessairement préjudiciables à cette grande entreprise. Les détails immenses de l’exécution demandent indispensablement la présence des