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parler, et, à l’exception des choses et des personnes auxquelles je dois respect, je dirai mon avis sur le reste. Avez-vous entendu parler d’une tragédie du Siège de Calais qu’on joue actuellement avec grand succès ? comme cette pièce est pleine de patriotisme, on dit, pour rendre les philosophes odieux, qu’ils sont déchaînés contre elle. Rien n’est plus faux, mais cela se dit toujours, pour servir ce que de raison. Quelle pauvre espèce que le genre humain ! Adieu, mon cher maître ; moquez-vous toujours de tout, car il n’y a que cela de bon.


Paris, 26 mars 1765.


Oh, la belle lettre, mon cher maître, que vous venez d’écrire à frère Damilaville sur l’affaire des malheureux Sirven ! aussi a-t-elle le plus grand et le plus juste succès ; on se l’arrache, on verse des larmes, et on la relit, et on en verse encore, et on finit par désirer de voir tous les fanatiques dans le feu ou ils voudraient jeter les autres. Je suis bien heureux que ma rapsodie sur la destruction de Loyola n’ait pas paru en même temps ; votre lettre l’aurait effacée, et le cygne aurait fait taire la pie. Je ne sais quand ma Destruction arrivera ; mais ce que je sais, c’est qu’il y a des personnes à Paris qui l’ont déjà, et que mon secret n’a pas été trop bien gardé. Quoi qu’il en soit, je recommande ce malheureux enfant à votre protection. Le bien que vous direz sera l’avis de beaucoup de gens, et surtout le fera vendre ; car c’est là l’essentiel pour que M. Cramer ne soit pas lésé.

Je ne sais ni le nom ni le sort du jeune jésuite que Simon Le Franc poussait par le cul à la procession. Je n’ai vu Simon depuis long-temps qu’une seule fois, à l’enterrement de M. d’Argenson, où il était, non comme homme de lettres, car il est trop grand seigneur pour se parer de ce titre, mais comme parent au quatre-vingt-dixième degré. S’il est encore à Paris, c’est si obscurément, que personne n’en sait rien. Il lui arrivera ce qui arriva à l’abbé Cotin, que les satires de Despréaux obligèrent à se cacher si bien, que le Mercure annonça sa mort trois ou quatre ans d’avance. Il en est arrivé à peu près autant au poète Roy, cet ennuyeux coquin qui, depuis une centaine de coups de bâton qu’il reçut il y a dix ans, avait pris le parti de la retraite, et dont on avait annoncé la mort, il y a plus d’un an, dans les gazettes, quoiqu’il n’ait rendu que depuis peu sa belle âme à son créateur.

Oui vraiment, le bâtard du Portier des chartreux, Marsy,