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instituteur des enfants de France ? heureusement ce ridicule choix n’a pas eu lieu ; voilà en effet un plaisant instituteur qu’un capelan sans philosophie, sans goût, sans connaissance des hommes ! Si on le faisait balayeur de la bibliothèque du roi, je le trouverais mieux placé.

Que dites-vous de la révolution de Russie, et de votre ancien disciple dont vous vous obstinez à ne me point parler ? Vous avez toujours cru qu’il périrait ; il s’en tirera pourtant, si je ne me trompe, grâce à son activité et à son courage. Je me flatte qu’après la paix, qu’on nous fait espérer bientôt, il redeviendra notre ami, et que tout rentrera dans l’ordre accoutumé.

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; vous me négligez un peu : je ne reçois plus de vos nouvelles que de loin en loin, et je trouve cela très mauvais.


Paris, 25 septembre 1762.


Ce que vous me mandez de votre santé, mon cher et illustre maître, m’inquiète et m’afflige. Votre conversation et la lecture de vos ouvrages m’ont tant fait remercier Dieu de n’être ni sourd ni aveugle, que je le trouverais bien injuste s’il vous punissait par deux sens que vous avez rendus si précieux à tous ceux qui savent penser. J’espère que vous conserverez vos yeux en les ménageant, et c’est de quoi je vous prie bien fort. À l’égard des oreilles, je n’y sais point d’autre remède que d’entendre le moins de sottises que vous pourrez ; par malheur ce remède n’est pas d’une observation facile.

J’ai annoncé à l’Académie l’Héraclius de Caldéron, et je ne doute point qu’elle ne le lise avec plaisir, comme elle a lu l’arlequinade de Gilles Shakespeare. Ce que je vous marquais sur votre traduction n’était qu’un doute ; et je suis convaincu, puisque vous m’en assurez, que vous avez conservé dans cette traduction le génie des deux langues ; personne n’est plus à portée de cela que vous.

Grâce à vous, j’espère que les Calas viendront à bout de prouver leur innocence ; mais savez-vous ce qu’il y a de plus fort à objecter à leurs mémoires ? C’est qu’il n’est pas possible d’imaginer, je ne dis pas que des magistrats, mais que des hommes qui ne marchent pas à quatre pattes, aient condamné sur de pareilles preuves un père de famille à la roue. Il est absolument nécessaire, et je le leur ai dit, qu’ils préviennent dans leurs mémoires cette objection, en demandant que les pièces du procès soient mises sous les yeux du public. Cela est d’autant plus important, qu’il y a ici des émissaires du parlement de