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coup dans une cave, les habitants ne s’apercevraient que du mal qu’il leur ferait aux yeux ; l’excès de lumière ne serait bon qu’à les aveugler sans ressource. Ce que vous savez doit être attaqué comme Pierre Corneille, avec ménagement.

Ce qui n’en mérite point, c’est le parlement de Toulouse, si en effet, comme il y a toute apparence, les Calas sont innocents. Il est très important que tout le public soit au fait de cette horrible aventure. Vous n’avez pas donné assez d’exemplaires des pièces justificatives ; à peine les connaît-on ici, et tout Paris devrait en être inondé. Je vous réponds bien de ne pas me taire, et de faire crier tous ceux qui m’écouteront ; jésuites, parlements, jansénistes, prédicants de Genève, franche canaille que tout cela, et par malheur, canaille méchante et dangereuse. Enfin le 6 du mois prochain la canaille parlementaire nous délivrera de la canaille jésuitique ; mais la raison en sera-t-elle mieux, et l’inf… plus mal ?

Madame du Deffant me charge de vous faire mille compliments, et de vous dire que, si elle ne vous importune point de ses lettres, c’est par attention pour vous et par respect pour votre temps ; qu’elle a pris beaucoup de part au rétablissement de votre santé ; qu’elle est toujours de la bonne doctrine, et n’encense point les faux dieux ; c’est ce qu’elle m’a expressément recommandé de vous dire.

Adieu, mon cher et grand philosophe ; portez-vous bien, moquez-vous de la sottise des hommes ; j’en fais autant que vous, mais je n’ai pas la sottise de m’en moquer trop haut ni trop fort ; il ne faut point faire son tourment de ce qui ne doit servir qu’aux menus plaisirs.


Paris, 8 septembre 1762.


LAcadémie m’a chargé, mon cher confrère, en l’absence de M. Duclos, de vous remercier de la traduction que vous lui avez envoyée de Jules César de Shakespeare. Elle l’a lue avec plaisir, et elle pense que vous avez très bien fait de relever par ce parallèle le mérite de notre théâtre. Elle s’en rapporte à vous pour la fidélité de la traduction, n’ayant pas eu d’ailleurs l’original sous les yeux. Elle est étonnée qu’une nation qui n’est pas barbare puisse applaudir à des rapsodies si grossières ; et rien ne lui paraît plus propre, comme vous l’avez très bien pensé, à assurer la gloire de Corneille.

Après m’être acquitté des ordres de l’Académie, voici maintenant pour mon compte. Quelque absurde que me paraisse la pièce de Shakespeare, quelque grossiers que soient réellement