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nièce de Caton, sœur de Brutus et femme de Cassius, termina sa carrière. Son testament fit du bruit, parce qu’étant très-riche, et ayant fait des legs à presque tous les grands, elle avait omis Tibère. Il ne parut point s’en offenser, et n’empêcha ni l’éloge de Junie dans la tribune, ni sa pompe funèbre. On y porta les images de vingt familles illustres, des Manlius, des Quintius, et d’autres hommes aussi respectables ; mais celles de Brutus et de Cassius effaçaient tout, par la raison même qu’on ne les y voyait pas.


PORTRAIT DE SÉJAN,
ET MORT DE DRUSUS, FILS DE TIBÈRE.

Tibère voyait depuis neuf ans la république tranquille et sa maison florissante, car il regardait la mort de Germanicus comme heureuse pour lui ; tout à coup, sous le consulat d’Asinius et d’Antistius, son bonheur commença à s’altérer ; il devint cruel, ou favorisa ceux qui l’étaient. Ce changement eut pour auteur Élius Séjan, préfet du prétoire : j’ai déjà parlé de son crédit, je vais parler de son origine, de ses mœurs, et des crimes par lesquels il s’empara du pouvoir. Il était né à Vulsinie, de Séjus Strabon, chevalier romain. Attaché dans sa jeunesse à C. César, petit-fils d’Auguste[1], on l’accusait de s’être prostitué pour de l’argent au riche et prodigue Apicius : bientôt, par différens artifices, il sut tellement gagner Tibère, que ce prince, si caché pour tout le monde, était pour lui sans secret et sans défiance ; moins par l’adresse de Séjan, qui succomba lui-même sous celle de son maître (70), que par la colère des dieux, qui rendirent sa faveur et sa chute également funestes à l’État. Endurci au travail, audacieux, habile à se déguiser et à noircir les autres, insolent et flatteur, modeste au dehors et dévoré au dedans de la fureur de régner, il employait dans cette vue tantôt le luxe et les largesses, tantôt l’application et la vigilance, non moins criminelles quand elles servent de masque à l’ambition.

Pour augmenter le crédit de sa charge, assez borné jusqu’à lui, il rassembla dans un camp les cohortes jusque-là séparées, afin que recevant l’ordre toutes à la fois, et fortifiées par leur

  1. Ce C. César était fils aîné d’Agrippa et de Julie, fille d’Auguste. Il ne faut pas le confondre avec C. César, fils de Germanicus, autrement appelé Caligula.