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succès et de leurs revers ? ce serait d’ailleurs abandonner à lui-même un sexe faible, l’exposer à son propre luxe et aux passions d’autrui. Une femme se contient à peine sous la garde d’un époux ; que sera-ce, si une espèce de divorce de plusieurs années le fait oublier ? en prévenant les fautes qui se commettent dans les provinces, souvenons-nous des désordres de la capitale. » Drusus ajouta en peu de mots, et pour lui-même, que les princes étaient souvent appelés aux extrémités de l’Empire ; qu’Auguste avait parcouru l’Orient et l’Occident, toujours avec Livie ; que lui-même avait été jusqu’en Illyrie, prêt, s’il le fallait, à aller plus loin, mais avec quelque peine ? si on le séparait d’une femme chérie et dont il avait tant d’enfans. Ces discours firent tomber l’avie de Cécina.

Lettre de Tibère au sénat.

Tibère, sans rien exagérer ni rien affaiblir, écrivit au sénat, que la guerre des Gaules avait été terminée en naissant ; que ses lieutenans avaient servi l’État de leur valeur, et lui de ses conseils ; que la dignité de l’Empire avait empêché Drusus et lui de partir pour cette guerre ; qu’il serait indécent aux princes, pour une ou deux villes mutinées, de quitter la capitale d’où ils tenaient les rênes de l’État ; qu’à l’abri maintenant du soupçon de crainte, il irait calmer tout par sa présence. Les sénateurs ordonnèrent des vœux pour son retour, des prières publiques et les honneurs d’usage. Le seul Cornélius Dolabella, pour enchérir sur les autres, poussa le ridicule de l’adulation jusqu’à demander que Tibère entrât de la Campanie dans Rome avec l’ovation[1]. L’empereur fit réponse, par lettres, qu’après avoir dompté tant de peuples barbares, et tant obtenu ou dédaigné de triomphes dans sa jeunesse, il n’était pas assez affamé de gloire, pour désirer, dans sa vieillesse, la vaine récompense d’une promenade aux portes de Rome.

Condamnation de Lutorius Priscus.

A la fin de l’année, Lutorius Priscus, chevalier romain, récompensé par Tibère pour un beau poëme où il avait pleuré Germanicus, fut accusé d’en avoir fait un autre pendant une maladie de Drusus, dans l’espérance, si le prince mourait, d’être encore mieux payé. Lutorius, par une vanité de poëte, avait lu son ouvrage chez Petronius, en présence de Vitellia, belle-mère de celui-ci, et de plusieurs femmes distinguées,

  1. On appelait ainsi le petit triomphe.