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sans pompe et dans une terre étrangère ; mais que le sort l’ayant privé des premiers honneurs, on lui en devait par là de plus grands ; que son frère n’avait pas été au-devant à plus d’une journée ; son oncle, pas même aux portes de Rome. Qu’était devenu l’ancien usage d’exposer l’image du mort sur un lit, de chanter des vers en son honneur, de faire son éloge, de le pleurer, de contrefaire au moins la douleur ? »

Tibère n’ignorait pas ces discours ; pour les faire cesser, il déclara par un édit : « Que plusieurs illustres Romains étaient morts pour l’État ; qu’aucun n’avait été célébré par des regrets aussi vifs ; que cette affliction était honorable pour les citoyens et pour l’empereur, pourvu qu’elle eut des bornes ; que la même douleur qui convenait aux États et aux familles ordinaires, dégradait les princes et un peuple roi ; que la perte récente de Germanicus avait mérité leurs larmes et cette consolation qu’on y trouve ; mais qu’ils ranimassent enfin leur courage, à l’exemple de César et d’Auguste, qui avaient étouffé leur douleur, l’un après la perte de sa fille unique, l’autre après celle de ses petits-fils ; qu’il ne rappelait point de plus anciens exemples, et la fermeté avec laquelle le peuple romain avait tant de fois soutenu la défaite de ses armées, la mort de ses généraux et la destruction des plus nobles familles ; que les princes mouraient, mais non pas l’État ; qu’ils reprissent donc leurs travaux, et jusqu’à leurs plaisirs, que la fête de Cybèle (54) allait ramener. »

Pison[1] ayant envoyé devant lui son fils avec des instructions pour adoucir Tibère, se rendit auprès de Drusus[2], espérant que ce prince, délivré d’un rival, lui pardonnerait la mort d’un frère. L’empereur, pour se montrer sans prévention, reçut avec bonté le jeune homme, et lui accorda la gratification d’usage pour les enfans des nobles. Drusus répondit à Pison, « que si les clameurs étaient fondées, il serait son premier accusateur ; mais qu’il désirait que ce fut un vain bruit, et que la mort de Germanicus ne devînt funeste à personne. » Il affecta de tenir publiquement ce discours : on ne douta point qu’il ne fut dicté par Tibère à ce jeune prince, qui, léger d’ailleurs, sans finesse et sans expérience (55), n’aurait pu se plier de lui-même à tant d’artifice.

Pison, dès le lendemain, fut accusé par Fulcinius Trion devant les consuls. Mais Vitellius, Veranius, et les autres amis de Germanicus, soutinrent que Trion n’avait rien à dire ; chargés des volontés du prince, ils se présentaient, non comme ac-

  1. Il avait été défait par Sentius, et forcé de se rendre à Rome.
  2. Ce fils de Tibère venait de partir pour l’Illyrie.