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d’Agrippine, vous traîne à la mort sans vous entendre ? Livie vous approuve, l’empereur vous favorise, mais en secret : plus ils sont ravis de la mort de Germanicus, plus ils mettront d’ostentation dans leur douleur. »

Pison, qui aimait les partis violens, suivit aisément ce conseil. Il écrit à Tibère, accuse Germanicus de luxe et d’orgueil, et ajoute que, « chassé par ce prince, dont il eût trop éclairé les desseins, il vient de reprendre, avec sa fidélité ordinaire, le commandement des troupes. »

Dès qu’on sut à Rome la maladie de Germanicus, dont les circonstances étaient envenimées par l’éloignement, la douleur et les murmures éclatèrent. « C’était pour cela, disait-on, qu’on l’avait relégué au bout du monde, et donné la Syrie à Pison, fruit cruel des entretiens secrets de Livie et de Plancine. Les vieillards avaient eu raison de dire, au sujet de Drusus[1], qu’un fils populaire déplaisait à un roi ; ces deux princes avaient péri pour avoir songé à rétablir la justice et la liberté. La nouvelle de la mort augmenta les cris : sans attendre ni édit des magistrats, ni décret du sénat, les tribunaux furent déserts, les maisons fermées ; tout pleurait ou gardait le silence ; la douleur se montrait sans art, et le deuil qu’on portait n’était que l’image de l’affliction profonde des cœurs. Quelques marchands partis de Syrie avant la mort de Germanicus, rapportèrent qu’il était mieux ; cette nouvelle est aussitôt crue, aussitôt divulguée (47) ; ceux qui la reçoivent la portent sans l’approfondir aux premiers qu’ils rencontrent, ceux-là à d’autres la joie l’exagère de bouche en bouche ; on court par toute la ville on enfonce les portes des temples ; les ténèbres de la nuit hâtèrent, entretinrent et fortifièrent l’erreur publique. Tibère sans détruire ces faux bruits, laissa le temps les dissiper. Alors on pleura Germanicus plus amèrement, comme si on l’eût perdu deux fois.

L’amitié et les talens s’empressèrent à l’envi de lui décerner et de lui rendre, des honneurs. On voulut que son nom fût célébré dans les hymnes des Saliens[2] ; qu’il eût parmi les prêtres d’Auguste une chaire curule avec une couronne civique ; que dans les jeux du cirque sa statue d’ivoire marchât à la tête ; qu’on ne choisît que dans la maison des Jules son successeur à la dignité de Flamen et d’Augure ; qu’on lui élevât à Rome, sur le bord du Rhin et sur le mont Amanus en Syrie des arcs de triomphe, où l’on inscrirait ses exploits et sa mort pour la république ; un tombeau à Antioche, où son corps avait été

  1. Père de Germanicus, frère de Tibère, et fils de Livie.
  2. Prêtres de Mars.