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trait dans les villes au déclin du jour, jamais en public, jamais long-temps aux mêmes lieux. Comme la vérité se fortifie par l’attention et par le temps, et les faux bruits par la rapidité et l’incertitude, il se dérobait à la renommée (40) ou la prévenait.

Cependant le bruit se répand en Italie que la bonté des dieux a conservé Agrippa : on le croyait à Rome. Tibère inquiet ne savait s’il emploierait des troupes pour réprimer son esclave, ou s’il laisserait au temps à dissiper cette vaine rumeur ; flottant entre la honte et la crainte, il voulait tantôt ne rien mépriser, tantôt ne pas s’effrayer de tout. Enfin il charge Sallustius Crispus d’arrêter Clemens. Tibère lui ayant demandé, dit-on, comment il était devenu Agrippa, il répondit, comme tu es devenu César. On ne put arracher de lui le nom de ses complices ; et l’empereur n’osant le faire périr en public, ordonna qu’on l’égorgeât dans un lieu secret du palais.

Triomphe de Germanicus.

Le 26 de mai (41), sous le consulat de C. Cælius et L. Pomponius, Germanicus triompha des Chérusques, des Cattes, des Angrivariens, et des autres peuples qui s’étendent jusqu’à l’Elbe ; on y vit les dépouilles de l’ennemi, les prisonniers, la représentation des combats, des montagnes, des fleuves : la guerre, que l’envie seule avait prolongée, semblait finie. L’intérêt des spectateurs était augmenté par la noblesse de sa figure, et par cinq enfans qui l’entouraient sur son char ; mais on craignait secrètement pour lui, en se souvenant que la faveur publique avait été fatale à Drusus son père ; que son oncle Marcellus, adoré de la nation, avait péri à la fleur de son âge ; triste et prompte destinée de ce qui était cher à l’État.

Cependant Tibère donna au peuple trois cents sesterces par tête au nom de Germanicus, et voulut être son collègue dans le Consulat ; mais personne ne fut la dupe de cette fausse amitié ; aussi chercha-t-il à écarter ce jeune prince, sous des prétextes honorables qu’il imaginait, ou qu’il saisissait quand ils s’offraient.

Mort de Germanicus, et ses suites.

Germanicus[1] eut une lueur d’espérance ; mais bientôt sa faiblesse lui annonçant sa fin, il tint ce discours aux amis qui l’environnaient : « Si une mort naturelle m’enlevait , je pourrais avec justice me plaindre des dieux même, qui m’arrache-

  1. Germanicus mourut en Syrie, à Épidaphné, faubourg d’Antioche. On croit que Tibère, jaloux de sa gloire, l’avait fait empoisonner par Pison, et que Plancine, femme de Pison, était complice.