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élevé, plus la chute était à craindre. Il n’en parut pas plus citoyen ; car il avait remis en vigueur la loi de lèse-majesté, dont le nom était ancien, mais l’objet tout différent. Elle épargnait les discours, et ne punissait que les actions, la trahison à la guerre, la sédition au dedans, les crimes contre l’État et la grandeur du nom romain. Auguste appliqua le premier cette loi aux libelles diffamatoires, pour réprimer l’audace de Cassius Severus à déchirer les personnes distinguées de l’État. Tibère, sur la demande du préteur Pompeïus Macer, si l’on ne changerait rien à cette jurisprudence, répondit qu’il fallait obéir aux lois ; il était d’ailleurs aigri par des vers anonymes qui avaient couru contre sa cruauté, son orgueil et ses querelles avec sa mère.

Accusation de Marcellus par Cépio.

Peu de temps après, Granius Marcellus, préteur de Bithynie, fut accusé de lèse-majesté par Crispinus Cépio son questeur, appuyé de Romanus Hispon. Ce Crispinus (30) ouvrit une route ; qui, par le malheur des temps et par la méchanceté humaine, fut après lui très-fréquentée : sans biens, sans naissance, mais intrigant, flattant par des libelles secrets la cruauté du maître (31), délateur des plus illustres citoyens, il devint par-là puissant auprès d’un seul, et odieux à tous ; bien d’autres, à son exemple, passèrent de l’indigence aux richesses, et du mépris à la haine, instrumens de la perte des autres, et ensuite de la leur. Il accusait Marcellus d’avoir tenu de mauvais discours contre Tibère ; imputation sans réplique, le délateur ayant choisi, pour charger l’accusé, les excès les plus infâmes du prince ; car la vérité des faits rendait les discours vraisemblables. Hispon ajouta, que Marcellus avait une statue plus élevée que celle des Césars, et avait ôté la tête à une statue d’Auguste pour y mettre celle de Tibère. À ce mot, l’empereur furieux, et sortant de sa taciturnité, s’écria qu’il voulait, dans cette cause, jurer et opiner à haute voix pour y obliger les autres. La liberté mourante respirait encore. En quel rang, César, opinerez-vous, dit Cneius Pison ? le premier ? vous me dicterez mon avis : le dernier ? je crains de vous contredire sans le vouloir. Tibère, qui sentit l’indiscrétion de son emportement, se contint, et laissa absoudre l’accusé.

On proposa ensuite de donner au préteur le droit de faire battre de verges les histrions ; Haterius Agrippa, tribun du peuple, s’y opposa, et fut vivement attaqué par Asinius Gallus. Tibère gardait le silence, laissant au sénat ce fantôme de liberté.