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de ressources dans les lois (29), m’ont fait, demander qu’on mît aux fers Arminius, ses complices, et moi-même. J’en atteste cette nuit fatale ; que ne fût-elle pour moi la dernière ! Je pleure, sans les justifier, les événemens qui l’ont suivie. J’ai donné des chaînes à Arminius ; j’en ai reçu ensuite de sa faction. Libre aujourd’hui d’approcher de vous, je préfère la fidélité au changement, et la tranquillité au trouble, voulant, pour toute récompense, écarter le soupçon de perfidie, et faciliter la réconciliation des Germains, s’ils aiment mieux se repentir que se perdre. Pardonnez, je vous supplie, à mon fils[1] la faute de sa jeunesse. Ma fille, je l’avoue, est ici malgré elle ; voyez qui doit l’emporter auprès de vous, de la fille de Ségeste ou de l’épouse d’Arminius. » Germanicus répondit avec bonté, lui accordant toute sûreté pour lui, ses enfans et ses proches.

La nouvelle de la soumission de Ségeste et de cette réception favorable, affligea ou rassura les Germains, selon qu’ils désiraient ou craignaient la guerre. Arminius, d’un naturel violent, furieux d’ailleurs de voir sa femme enlevée, et l’enfant qu’elle portait, esclave avant de naître, courait tout le pays, criant aux armes contre Ségeste et contre Germanicus. « Le digne père, disait-il avec insulte, le grand général, la redoutable armée, dont toutes les forces enlèvent une femme ! Pour moi j’ai immolé trois légions et leurs chefs ; je ne fais la guerre ni en traître ni à des femmes enceintes, mais à force ouverte et à des soldats : on voit encore dans les forêts de la Germanie les enseignes romaines que j’y ai consacrées aux dieux de mon pays... D’autres nations ignorent le joug des Romains, les supplices et les impôts ; nous qui avons secoué ces chaînes et bravé cet Auguste devenu dieu, ce Tibère son digne héritier. craindrions-nous un enfant sans expérience, une armée séditieuse ? Si les Germains préfèrent leur patrie et leur famille à des maîtres, leur indépendance au vil nom de colonies, qu’ils suivent Arminius à la gloire et à la liberté, plutôt que Ségeste à la honte et à l’esclavage. »

Conduite de Tibère.

Tibère refusa constamment, malgré les instances du peuple, le titre de père de la patrie ; il défendit aussi, contre l’avis des sénateurs, que le serment se prêtât en son nom, disant que tout était incertain dans les choses humaines, et que plus il était

  1. Le fils de Ségeste s’était d’abord sépare de son père, qu’il avait rejoint ensuite.