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un cri séditieux, et tout à coup le silence : agités par des mouvemens contraires, ils inspiraient et ressentaient la crainte.

Drusus, renvoyant leurs demandes au sénat et à son père, est interrompu par leurs cris. « Que vient-il faire, s’il a les mains liées, pour augmenter notre paie, pour adoucir nos maux, en un mot pour faire le bien ? les coups et la mort, voilà ce qu’on permet de nous donner, Tibère éludait sous le nom d’Auguste les demandes des légions ; son fils use du même artifice. Ne verrons-nous jamais que des enfans ? N’est-il pas étrange que les seuls intérêts de l’armée soient renvoyés au sénat ? qu’on le consulte donc aussi pour ordonner les supplices ou les combats. Pourquoi tant de juges pour nous récompenser, et un seul pour nous punir ? »

Sédition dans l’armée de Germanicus.

Plusieurs soldats demandèrent l’argent qu’Auguste leur avait légué ; ils faisaient des vœux pour Germanicus, tout prêts, s’il le voulait, à lui donner l’empire. Le prince, se croyant souillé de leur crime, se jette en bas de son tribunal ; ils lui présentent leurs armes, menaçant de le percer s’il ne remonte. Germanicus s’écrie qu’il préfère la mort à la révolte, tire son épée, et l’allait enfoncer dans son sein, si ceux qui l’entouraient ne l’avaient retenu ; mais les plus éloignés, attroupés par pelotons, et, ce qui est à peine croyable, quelques uns même s’approchant, lui criaient de se frapper. Un soldat, nommé Calusidius, lui offrit son épée nue, disant qu’elle était meilleure. Ce trait d’atrocité ayant révolté les furieux même, les amis du prince eurent le temps de l’entraîner dans sa tente.

En ce moment de crainte, tous blâmaient Germanicus de ne pas aller à l’armée du Haut-Rhin chercher de l’obéissance et du secours contre les rebelles, qu’il n’avait que trop ménagés par une conduite faible, par des congés et par de l’argent. S’il faisait trop peu de cas de sa vie, qu’il arrachât du moins à des furieux sans humanité, une épouse enceinte, un fils encore enfant, et les rendît à l’État. Il hésita long-temps ; Agrippine[1] protestait que la fille d’Auguste savait braver le péril : il verse beaucoup de larmes dans son sein et sur le jeune prince, et la détermine à partir. Sa marche offrit un triste cortège ; l’épouse du général, fugitive, son fils dans ses bras, traînait autour d’elle les femmes de ses amis éplorées, et ne laissait pas moins désolés ceux qu’elle quittait.

Ces plaintes, ces gémissemens, ce spectacle digne d’une ville

  1. Femme de Germanicus et mère de la fameuse Agrippine.