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geux avec ce méchant prince (19). En effet, Auguste, quelques années auparavant, redemandant au sénat la jouissance tribunitienne pour Tibère, avait jeté dans un discours, d’ailleurs plein d’éloges, quelques reproches en forme d’excuses sur son extérieur, sa parure et sa conduite (20).

Les obsèques d’Auguste achevées, on lui décerna un temple et les honneurs divins. Ensuite on pria Tibère de le remplacer ; il répondit par des discours généraux sur son peu de talent, et sur la grandeur de l’Empire : « que le génie seul d’Auguste avait pu suffire à un tel fardeau ; qu’appelé par ce prince au partage du gouvernement, l’expérience lui en avait appris le poids, les difficultés et les risques ; que dans une ville si remplie d’hommes distingués, il ne fallait pas tout confier à un seul ; que la république serait mieux gouvernée par les travaux réunis de plusieurs. » Il n’y avait dans ce discours qu’une fausse noblesse (21) : Tibère, soit par caractère, soit par habitude, s’exprimait toujours d’une manière vague et ambiguë, même sans projet de cacher sa pensée ; mais craignant alors qu’on ne le pénétrât, il redoublait d’obscurité et d’équivoque dans ses paroles. Les sénateurs, qui redoutaient surtout de paraître le deviner, se répandirent en plaintes, en larmes, en prières, embrassant ses genoux, les statues des dieux et celle d’Auguste. Tibère fit alors apporter et lire un mémoire où l’on détaillait les revenus de l’État, ce qu’il y avait de troupes en citoyens et en alliés, les flottes, les royaumes, les provinces, les tributs, les impôts, les dépenses nécessaires ou utiles. Auguste avait tout écrit de sa main, et conseillait, soit par crainte, soit par jalousie , de ne point reculer les bornes de l’Empire.

Le sénat s’étant avili aux supplications les plus basses, il échappa à Tibère de dire, qu’incapable de gouverner le tout, il se chargerait de la partie qu’on voudrait lui confier. Laquelle, dit Gallus, préférez-vous ? Déconcerté par cette question, il se tut un moment ; s’étant remis, il répondit : « qu’il lui paraissait indécent de choisir ou de refuser une partie, lorsqu’il désirait qu’on le dispensât du tout. » Gallus, lisant sur le visage de Tibère son mécontentement, répliqua qu’il avait fait cette question, non pour diviser des choses inséparables, mais pour le convaincre par son propre aveu, que la république n’ayant qu’un corps, ne devait avoir qu’une tête. Il fit de plus l’éloge d’Auguste ; il rappela à Tibère lui-même ses victoires (22), et tant de magistratures si long-temps et si glorieusement exercées. Mais il ne put adoucir l’empereur, qui le haïssait depuis long-temps.

L. Aruntius, par un discours à peu près semblable, choqua