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si le sens seul du discours ne suffisait pas pour faire cette distinction. Enfin un autre abus dans l’usage des accens, c’est que nous désignons souvent, par des accens différens, des sons qui se ressemblent ; souvent nous employons l’accent grave et l’accent circonflexe pour désigner des e dont la prononciation est sensiblement la même, comme dans bête, procès, etc.

Une seconde difficulté sur la réformation de l’orthographe, est celle qui est formée par les étymologies : si on supprime, dira-t-on, le ph pour lui substituer l’f, comment distinguera-t-on les mots qui viennent du grec, d’avec ceux qui n’en viennent pas ? Je réponds que cette distinction serait encore très-facile, par le moyen d’une espèce d’accent qu’on ferait porter à l’f dans ces sortes de mots : ce qui serait d’autant plus raisonnable, que dans philosophie, par exemple, nous n’aspirons certainement aucune des deux h, et que nous prononçons filosofie ; au lieu que le φ des Grecs, dont nous avons formé notre ph, était aspiré. Pourquoi donc conserver l’h, qui est la marque de l’aspiration, dans les mots que nous n’aspirons point ? pourquoi même conserver dans notre alphabet cette lettre qui n’est jamais ou qu’une espèce d’accent ou qu’une lettre qu’on conserve pour l’étymologie ? ou du moins pourquoi l’employer ailleurs que dans le ch, qu’on ferait peut-être mieux d’exprimer par un seul caractère ?

Les deux difficultés auxquelles nous venons de répondre, n’empêcheraient donc point qu’on ne pût, du moins à plusieurs égards, réformer notre orthographe ; mais il serait, ce me semble, presque impossible que cette réforme fût entière, pour trois raisons. La première, c’est que dans un grand nombre de mots il y a des lettres qui tantôt se prononcent et tantôt ne se prononcent point, suivant qu’elles se rencontrent ou non devant une voyelle : telle est, dans l’exemple proposé, la dernière lettre s du mot temps, etc. Ces lettres, qui souvent ne se prononcent pas, doivent néanmoins s’écrire nécessairement ; et cet inconvénient est inévitable, à moins qu’on ne prenne le parti de supprimer ces lettres dans le cas où elles ne se prononcent pas, et d’avoir par ce moyen deux orthographes differentes pour le même mot ; ce qui serait un autre inconvénient. Ajoutez à cela que souvent même la lettre surnuméraire devrait s’écrire autrement que l’usage ne le prescrit : ainsi l’s dans temps devrait être un z, le d dans tend devrait être un t, et ainsi des autres. La seconde raison de l’impossibilité de réformer entièrement notre orthographe, c’est qu’il y a bien des mots dans lesquels le besoin ou le désir de conserver l’étymologie, ne pourra être satisfait par de purs accens, à moins de multiplier tellement ces accens, que