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Un autre inconvénient de l’éducation des collèges, est que le maître se trouve obligé de proportionner sa marche au plus grand nombre de ses disciples, c’est-à-dire, aux génies médiocres ; ce qui entraîne pour les génies plus heureux, une perte de temps considérable.

Je ne puis m’empêcher non plus de faire sentir, à cette occasion, les inconvéniens de l’instruction gratuite ; et je suis assuré d’avoir ici pour moi tous les professeurs les plus éclairés et les plus célèbres : si cet établissement a fait quelque bien aux disciples, il a fait encore plus de mal aux maîtres.

Au reste, si l’éducation de la jeunesse est négligée, ne nous en prenons qu’à nous-mêmes, et au peu de considération que nous témoignons à ceux qui s’en chargent ; c’est le fruit de cet esprit de futilité qui règne dans notre nation, et qui absorbe, pour ainsi dire, tout le reste. En France, on sait peu de gré à quelqu’un de remplir les devoirs de son état ; on aime mieux qu’il soit frivole.

Voilà ce que l’amour du bien public m’a inspiré de dire ici sur l’éducation, tant publique que privée : d’où il s’ensuit que l’éducation publique ne devrait être la ressource que des enfans dont les parens ne sont malheureusement pas en état de fournir à la dépense d’une éducation domestique. Je ne puis penser, sans regret, au temps que j’ai perdu dans mon enfance : c’est à l’usage établi, et non à mes maîtres, que j’impute cette perte irréparable ; et je voudrais que mon expérience pût être utile à ma patrie. Exoriare aliquis.

CONTRE-SENS.

Vice dans lequel on tombe quand le discours rend une autre pensée que celle qu’on a dans l’esprit, ou que l’auteur qu’on interprète y avait. Ce vice naît toujours d’un défaut de logique, quand on écrit de son propre fonds ; ou d’ignorance soit de la matière, soit de la langue, quand on écrit d’après un autre.

Ce défaut est particulier aux traductions. Avec quelque soin qu’on travaille un auteur ancien, il est difficile de n’en faire aucun : les usages, les allusions à des faits particuliers, les différentes acceptions des mots de la langue, et une infinité d’autres circonstances peuvent y donner lieu.

Il y a une autre espèce de contre-sens, dont on a moins parlé, et qui est pourtant plus blâmable encore, parce qu’il est, pour ainsi dire, plus incurable ; c’est celui qu’on fait en s’écartant du génie et du caractère de son auteur. La traduction ressemble alors à un portrait qui rendrait grossièrement les traits sans rendre la physionomie, ou en la rendant autre qu’elle n’est, ce