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des beaux-arts, et surtout de la musique, étude si propre pour former le goût et pour adoucir les mœurs, et dont on peut bien dire avec Cicéron : Hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, secundas res ornant, adversis perfugium et solatium præbent.

Ce plan d’étude irait, je l’avoue, à multiplier les maîtres et le temps de l’éducation. Mais, 1°. il me semble que les jeunes gens, en sortant du collège, y gagneraient de toutes manières, s’ils en sortaient plus instruits. 2°. Les enfans sont plus capables d’application et d’intelligence qu’on ne le croit communément ; j’en appelle à l’expérience : et si, par exemple, on leur apprenait de bonne heure la géométrie, je ne doute point que les prodiges et les talens précoces en ce genre ne fussent beaucoup plus fréquens. Il n’est guère de sciences dont on ne puisse instruire l’esprit le plus borné, avec beaucoup d’ordre et de méthode; mais c’est là pour l’ordinaire par où l’on pèche. 3°. Il ne serait pas nécessaire d’appliquer tous les enfans à tous ces objets à la fois : on pourrait ne les montrer que successivement ; quelques uns pourraient se borner à un certain genre ; et dans cette quantité prodigieuse, il serait bien difficile qu’un jeune homme n’eût du goût pour aucun. Au reste, c’est au gouvernement, comme je l’ai dit, à faire changer la routine et l’usage; qu’il parle, et il se trouvera assez de bons citoyens pour proposer un excellent plan d’études. Mais en attendant cette réforme, dont nos neveux auront peut-être le bonheur de jouir, je ne balance point à croire que l’éducation des collèges, telle qu’elle est, est sujette à beaucoup plus d’inconvéniens qu’une éducation privée, où il est beaucoup plus facile de se procurer les diverses connaissances dont je viens de faire le détail.

Je sais qu’on fait sonner très-haut deux grands avantages en faveur de l’éducation des collèges, la société et l’émulation : mais il me semble qu’il ne serait pas impossible de se les procurer dans l’éducation privée, en liant ensemble quelques enfans à peu près de la même force et du même âge. D’ailleurs, j’en prends à témoin les maîtres, l’émulation dans les collèges est bien rare ; et à l’égard de la société, elle n’est pas sans de grands inconvéniens. J’ai déjà touché ceux qui en résultent par rapport aux mœurs ; mais je veux parler ici d’un autre qui n’est que trop commun, surtout dans les lieux où on élève beaucoup de jeune noblesse : on leur parle à chaque instant de leur naissance et de leur grandeur, et par là on leur inspire, sans le vouloir, des sentimens d’orgueil à l’égard des autres. On exhorte ceux qui président à l’instruction de la jeunesse à s’examiner soigneusement sur un point de si grande importance