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temps, avec la connaissance très-imparfaite d’une langue morte ; avec des préceptes de rhétorique et des principes de philosophie, qu’il doit tâcher d’oublier ; souvent avec une corruption de mœurs dont l’altération de la santé est la moindre suite ; quelquefois avec des principes d’une dévotion mal entendue ; mais plus ordinairement avec une connaissance de la religion si superficielle, qu’elle succombe à la première conversation impie ou à la première lecture dangereuse.

Je sais que les maîtres les plus sensés déplorent ces abus, avec encore plus de force que nous ne faisons ici ; presque tous désirent passionnément qu’on donne à l’éducation des collèges une autre forme. Nous ne faisons qu’exposer ici ce qu’ils pensent, et ce que personne d’entre eux n’ose écrire : mais le train une fois établi a sur eux un pouvoir dont ils ne sauraient s’affranchir ; et, en matière d’usage, ce sont les gens d’esprit qui reçoivent la loi des sots. Je n’ai donc garde, dans ces réflexions sur l’éducation publique, de faire la satire de ceux qui enseignent ; ces sentimens seraient bien éloignés de la reconnaissance dont je fais profession pour mes maîtres : je conviens avec eux que l’autorité supérieure du gouvernement est seule capable d’arrêter les progrès d’un si grand mal ; je dois même avouer que plusieurs professeurs de l’Université de Paris s’y opposent autant qu’il leur est possible, et qu’ils osent s’écarter en quelque chose de la routine ordinaire, au risque d’être blâmés par le plus grand nombre. S’ils osaient encore davantage, et si leur exemple était suivi, nous verrions peut-être enfin les études changer de face parmi nous : mais c’est un avantage qu’il ne faut attendre que du temps, si même le temps est capable de nous le procurer. La vraie philosophie a beau se répandre en France de jour en jour, il lui est bien plus difficile de pénétrer chez les corps que chez les particuliers : ici elle ne trouve qu’une tête à forcer, si on peut parler ainsi ; là elle en trouve mille. L’Université de Paris, composée de particuliers qui ne forment d’ailleurs entre eux aucun corps régulier ni ecclésiastique, aura moins de peine à secouer le joug des préjugés dont les écoles sont encore pleines.

Parmi les différentes inutilités qu’on apprend aux enfans dans les collèges, j’ai négligé de faire mention des tragédies, parce qu’il me semble que l’Université de Paris commence à les proscrire presque entièrement : on en a l’obligation à Rollin, un des hommes qui ont travaillé le plus utilement pour l’éducation de la jeunesse ; à ces déclamations de vers il a substitué les exercices, qui sont au moins beaucoup plus utiles, quoiqu’ils pussent l’être encore davantage. On convient aujourd’hui, assez généralement, que ces tragédies sont une perte de temps pour