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sances, de sa modestie, ou plutôt, & ce qui vaut bien mieux encore, de sa simplicité ; car la modestie est quelquefois hypocrite. & la simplicité ne l’est jamais.

Descartes

Je ne puis pas dire que je voudrais voir ici ce Prince pour le remercier. J’espere même, pour le bonheur de la Suede, qu’il ne viendra nous trouver de long-temps. Mais je voudrais du moins que ma Nation m’acquittât un peu envers lui. Je fais qu’elle est légere & frivole ; mais au fond elle est sensible & honnête : & si elle n’a rien fait pour moi, ce fera m’en dédommager en quelque sorte, que de se montrer reconnaissante des honneurs que les Etrangers me rendent. Je n’ai ni la vanité d’être ébloui de ces honneurs, ni l’orgueil de les dédaigner ; une ombre a le bonheur ou le malheur de voir les choses comme elles sont. Mais quand je n’aurois rendu d’autre service aux Philosophes, que d’ouvrir la carriere d’où ils tirent les matériaux du grand édifice de la raison, j’aurais, ce me semble, quelque droit au souvenir de la postérité.

Christine

Quant à moi, je partage bien vivement les obligations que Vous & la France avez en ce moment à la Suede ; car le Mausolée qu’on vous y élève est une dette que j’avais un peu contractée envers vous.

Descartes

Il est vrai, soit dit sans vous en faire de reproche, qu’après avoir assez bien traité ma personne, vous avez un peu négligé ma cendre. J’étais mort dans votre Palais, d’une fluxion de poitrine que j’avois gagnée à me lever pendant trois mois, en hiver, a cinq heure du matin, pour aller vous donner des leçons. On dit que vous me regrettâtes quelques jours ; que vous parlâtes même de me faire construire un tombeau bien magnifique ; mais que bientot vous n’y pensâtes plus. La plupart des Princes sont comme les enfans ; ils carressent vivement, & oublient vite.


Christine

J’aurais certainement fait quelque chose pour votre mémoire, si je n’eusse pas abdique la Couronne bientôt après.

Descartes

Et pourquoi l’avez-vous abdiquée ? Il me semble que vous auriez beaucoup mieux fait de rester sur le Trone de Suede, d’y travailler au bonheur de vos Peuples, d’y protéger les Sciences & la Philosophie, que d’aller traîner une vie inutile au milieu de ces italiens qui vous traitaient assez mal. Avouez que