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de mouvement et de coloris, et se fût élevé davantage à la dignité et à l’intérêt de son sujet. La seconde, qui a pour devise ; Et mihi dulces ignoscent, si quid peccavero stultus, amici, a paru mériter qu’on en fît mention, parce qu’elle contient des traits de sensibilité et quelques vers heureux, quoiqu’elle ait d’ailleurs peu de plan et de méthode, et qu’elle soit dans sa plus grande partie languissante et négligée.

La compagnie a jugé, par la lecture de ces deux pièces, et surtout de la première, que les auteurs étaient capables de faire beaucoup mieux, pour leur gloire et pour sa propre satisfaction. Ce proverbe, tantôt vrai, tantôt faux, comme beaucoup d’autres, que le mieux est l’ennemi du bien, est l’axiome favori de la paresse. Il est pour le bien un ennemi beaucoup plus à craindre, surtout chez les écrivains qui paraissent offrir à la littérature les plus grandes espérances ; c’est la facilité dangereuse de faire sans peine mieux que les autres, en restant inférieurs à eux-mêmes. La suspension du prix, pour des écrivains de ce mérite, est, de la part de l’Académie, la marque et le sceau de l’estime qu’ils lui ont inspirée. Elle aime mieux leur différer de quelques mois les lauriers qui les attendent, et leur offrir des lauriers durables, que de leur en donner qui, à peine mis sur leur tête, seraient exposés à se flétrir. Pour les amener au degré de perfection dont elle voit en eux le germe et l’annonce, elle leur rappellera ces vers de Despréaux, qu’on ne saurait trop répéter à tous ceux qui ont le talent et peut-être le malheur d’écrire :

Faites choix d’un censeur solide et salutaire,
Que la raison conduise et le savoir éclaire,
Et dont le crayon sûr d’abord aille chercher
L’endroit que l’on sent faible, et qu’on veut se cacher.

Ces quatre vers, dont les deux derniers surtout sont peut-être les meilleurs de cet Art Poétique qui en renferme un si grand nombre d’excellens, devraient être écrits dans le cabinet de tous les gens de lettres, comme le beau vers de Racine sur les flatteurs devrait l’être dans le cabinet de tous les princes :

Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage.

Il est facile à l’Académie de faire trouver à ceux des concurrens qu’elle distingue le plus, ce précieux censeur dont parle Despréaux ; elle n’aura besoin pour cela que de les opposer à eux-mêmes, de les renvoyer, pour se juger, aux morceaux vraiment estimables de leurs ouvrages, qu’ils sauront bien reconnaître, et d’y joindre cet avis aussi utile que flatteur :

Pour bien faire, l’auteur n’a qu’à se ressembler.