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ronnes académiques, accumulées sur la tête d’un écrivain digne de les porter, sont la plus noble réponse qu’il puisse opposer à ses méprisables ennemis, et feraient rougir l’envie, si l’envie était digne de rougir.

L’Académie éprouve donc le regret le plus sensible, lorsqu’elle se voit privée de la satisfaction de distribuer ces couronnes si précieuses pour elle. Amie de tous les gens de lettres, qui ont tant d’intérêt d’être unis, elle voudrait n’en contrister aucun, quoiqu’elle ne puisse éviter, malheureusement pour elle, d’en mortifier tous les ans un grand nombre, soit qu’elle donne, soit qu’elle remette le prix ; elle voudrait au moins ne pas affliger ceux des concurrens dont les pièces lui annoncent des talens vraiment faits pour l’intéresser. Mais ce n’est pas seulement aux gens de lettres ses concitoyens, qu’elle doit compte de ses jugemens, elle en doit répondre à ce public qui a les yeux sur elle, qui peut-être ne serait pas fâché d’avoir des leçons à lui donner, et qui l’avertit de temps en temps d’être aussi difficile que lui. On a plus d’une fois reproché à l’Académie d’être trop indulgente, rarement d’être trop sévère. Mais sévère ou indulgente, suivant que les circonstances lui ont paru l’exiger, ses vues ont toujours été droites, et ses intentions pures. Elle pense qu’un corps littéraire, qui propose des récompenses à l’émulation des gens de lettres, doit avoir des alternatives d’indulgence et de sévérité, nécessaires pour donner aux vrais talens toute l’énergie dont ils sont capables. L’indulgence prévient en eux le dégoût, et la sévérité prévient le sommeil.

C’est d’après ces motifs que l’Académie s’est crue obligée de suspendre le prix de poésie qu’elle devait distribuer cette année, et de le remettre à l’année prochaine. Le concours de l’année dernière, quoique très-nombreux, était assez faible ; elle avait eu soin d’en avertir les concurrens ; elle les avait exhortés à de nouveaux efforts, et leur avait même indiqué en général les défauts les plus essentiels qu’elle avait remarqués dans les meilleures pièces. Cet avis n’a pas produit tout l’effet qu’elle devait naturellement en attendre. Le concours de cette année, aussi nombreux que celui de l’année dernière, a paru plus faible encore. Deux pièces seules, parmi le grand nombre, ont surnagé dans le naufrage général. La première, dont l’objet est également intéressant pour un poëte et pour un philosophe, et qui a pour devise. : Quomodò ohscuratum est aurum ? a paru supérieure à toutes les autres, par la régularité de sa marche, par la sagesse avec laquelle elle est écrite, et par quelques beaux morceaux qu’elle renferme ; mais l’Académie, dont je ne suis ici que l’interprète, aurait désiré que l’auteur eût mis dans son ouvrage plus