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mariage empêcheraient d’élever assidûment et solidement l’édifice céleste ; indifférent aux magistrats, qu’il ne rend pas plus difficiles à corrompre ; nuisible aux gens de guerre, que le souvenir de leur famille peut animer au combat.

Une épouse est la maîtresse d’un jeune homme, la compagne d’un homme fait, la nourrice d’un vieillard. Chaque âge peut donc trouver des raisons pour le mariage. On a cependant mis au nombre des sages ce philosophe qui, interrogé sur le temps de la vie le plus propre à se marier, répondit : Jeune, c’est trop tôt, et vieux, c’est trop tard.

Souvent il arrive à un mari méchant d’avoir une femme douce, soit parce que cette douceur peut donner au mari des momens de tendresse, soit plutôt parce que la femme se fait honneur de sa patience. C’est ce qui arrive surtout quand elle a désiré et choisi son époux contre le conseil de ses amis ; car alors elle n’est occupée que de leur cacher son repentir.

CHAPITRE V.
De la Vengeance.

La vengeance est une espèce de justice sauvage ; plus la nature humaine y est portée d’elle-même, plus la sévérité des lois doit la réprimer. L’injure ne fait que violer la loi, la vengeance la rend inutile ; elle nous met au niveau de nos ennemis, l’indulgence nous élevé au-dessus d’eux.

Il est rare qu’on fasse du mal pour le plaisir d’en faire ; c’est toujours par quelque vue d’ambition ou d’intérêt. Pourquoi donc punirais-je mon semblable de s’aimer plus que moi ? Pourquoi même trouverais-je étrange que la malice seule le portât à m’outrager ? L’épine et le chardon piquent et déchirent aussi, parce que c’est leur nature.

La vengeance est pourtant excusable, quand la loi n’a point pourvu à la réparation ; mais il faut examiner alors si la vengeance elle-même ne donne point de prise à la loi, autrement ce serait doubler son mal et le plaisir de son ennemi.

Il y a des personnes qui, en se vengeant, désirent que leur ennemi connaisse de quelle part vient le coup. Cette manière de penser est noble et généreuse, lorsqu’elle a moins pour objet le plaisir de la vengeance, que le repentir de celui qui nous a fait du mal ; mais les âmes viles et timides qui cherchent à se venger en secret, ressemblent à des flèches qui volent dans les ténèbres.

Le grand duc de Florence, Côme de Médicis, a lancé un trait plein de finesse contre les amis perfides. L’Écriture, dit-il, nous oblige de pardonner à nos ennemis ; elle ne nous ordonne