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Portius[1], regarde ton frère, et souviens-toi que notre vie n’est point à nous quand Rome la demande.

JUBA[2].

Ah ! grand homme ! · · · · ·

CATON.

Hélas ! mes amis, pourquoi vous affligez-vous ? Ce n’est point à mon malheur et à la perte de mon fils que vous devez des larmes ; c’est Rome seule qui mérite vos regrets. La maîtresse du monde, le siège de l’Empire, la mère des héros, l’admiration des dieux, qui humiliait les fiers tyrans de la terre, et brisait le joug des nations, Rome n’est plus ; ô liberté ! ô vertu ! ô ma patrie !

JUBA.

O courage héroïque d’un citoyen vertueux ! Rome fait couler de ses yeux des pleurs que la mort de son fils ne peut en arracher.

CATON.

Tout ce que la valeur des Romains a soumis, tous les lieux que le soleil éclaire, le jour, l’année, tout est à César. C’est pour lui que les Décius se sont dévoués à la mort, que les Fabius ont péri, que les grands Scipions ont dompté l’univers. Pompée même a combattu pour lui. O mes amis ! l’ouvrage du destin, le travail de tant de siècles, l’Empire romain est tombé · · · · Détestable ambition ! Il est tombé dans les mains de César. Nos illustres ancêtres ne lui ont rien laissé à conquérir que sa patrie.

JUBA.

Tant que Caton vivra. César rougira d’avoir mis le genre humain aux fers, et sera honteux de sa puissance même.

CATON.

César honteux ! n’a-t-il pas vu sans rougir les champs de Pharsale ?

LUCIUS[3].

Caton, il est temps de songer à ta sûreté et à la nôtre.

CATON.

Ne pensez point à moi ; je ne suis point en danger. Les Dieux ne me laisseront point au pouvoir du vainqueur. César ne pourra jamais dire : J’ai conquis Caton. Mais, hélas ! mes chers amis,

  1. Second fils de Caton, frère de Marcus.
  2. Prince de Numidie, ami de Caton.
  3. Sénateur romain, ami de Caton.