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dats, que j’appelle au secours de ce héros. Quoi, non-seulement vous assistez, mais vous présidez sous les armes au jugement de cette cause ? ce sera sous vos yeux qu’on exilera, qu’on proscrira, qu’on anéantira tant de vertus ?

Malheureux que je suis ! Vous avez pu, Milon, me rappeler dans ma patrie par le secours de ces vaillans hommes, et je ne pourrai, par leur secours, vous y retenir ? Que répondrai-je à mes enfans, qui vous regardent comme un second père ? Que vous répondrai-je, ô mon frère Quintus ! aujourd’hui absent, et autrefois compagnon de mes malheurs ? Croirez-vous que je n’ai pu conserver Milon par les mêmes mains qui l’ont aidé à nous conserver l’un et l’autre ? Et dans quelle cause ne l’aurai-je pu ? dans une cause où toutes les nations sont pour nous. Qui me l’aura refusé ? ceux à qui la mort de Clodius a rendu le repos. A qui le refuseront-ils ? à moi.

Quel complot ai-je donc formé contre vous, messieurs ; quel si grand crime ai-je commis, lorsque j’ai cherché, découvert, publié, dissipé les dangers qui menaçaient l’Etat ? Hélas ! c’est la source funeste de la douleur qui m’accable aujourd’hui moi et les miens. Pourquoi avez-vous ordonné mon retour ? est-ce pour bannir à mes yeux ceux à qui j’en suis redevable ? Ne souffrez pas, je vous en conjure, que ce retour soit pour moi plus cruel que l’exil ; car comment pourrai-je me croire dans Rome, si l’on me sépare de ceux qui m’ont rendu à elle ?

Plût aux dieux (pardonnez-moi ce souhait, ô ma patrie ! car, en m’attendrissant pour Milon, je crains de vous outrager), plût aux dieux que Clodius fut non-seulement vivant, mais préteur, consul, dictateur, si sa mort nous a réservés à de si grands maux.

O Dieux immortels ! quel modèle de force et d’héroïsme ! qu’il est digne, messieurs, d’être conservé par vous à l’État ! Non, s’écrie Milon, ce scélérat a subi la peine qui lui est due ; subissons, s’il le faut, celle que nous n’avons point méritée. Quoi, cet homme né pour la patrie mourra donc partout ailleurs que dans sa patrie même, et pour sa patrie ? Vous aurez sous les yeux les monumens de son courage, et vous ne permettrez pas que dans toute l’Italie il lui reste un tombeau ? Qui de vous pourra condamner à l’exil un citoyen que toutes les autres villes appelleront quand vous l’aurez proscrit ?

O trop heureuse la nation qui va recueillir un tel homme ! qu’elle sera ingrate si elle le bannit, et infortunée si elle vient à le perdre ! Mais finissons, car l’abondance de mes larmes étouffe ma voix, et Milon ne veut point être défendu par des larmes. Je vous conjure instamment, messieurs, d’oser, en allant aux opinions, dire librement vos avis ; personne, croyez-moi, ne