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aussi à leur aise. Comme beaucoup d’autres qu’eux ont au moins une teinture du grec, et une connaissance assez raisonnable du latin, il est aisé de les embarrasser sur ce qui fait le sujet de leurs exclamations.

On leur dit, par exemple : les Français, les Anglais, les Allemands, les Italiens prononcent le latin très-différemment les uns des autres, jusque-là qu’à peine s’entendent-ils en le prononçant, et qu’à peine croient-ils parler la même langue ; tous y trouvent pourtant de l’harmonie ; tous ensemble peuvent-ils être de bonne foi, puisque ce n’est pas proprement la même langue qu’ils prononcent ? et ne s’ensuit-il pas de là que cette prétendue harmonie, que les latinistes modernes exaltent si fort, est du moins autant dans leur imagination que dans leurs oreilles ?

Pour décider cette question, autant du moins que nous sommes à portée de la décider, il faut d’abord fixer ce qu’on entend ou ce qu’on doit entendre par l’harmonie d’une langue ; il faut examiner ensuite en quoi peut consister par rapport à nous l’harmonie des langues mortes, et surtout de la langue latine, qui de toutes les langues mortes nous est la plus familière et la plus connue.

Observons d’abord que ce qu’on appelle harmonie d’une langue devrait plutôt s’appeler mélodie. Car l’harmonie est proprement le plaisir qui résulte de plusieurs sons qu’on entend à la fois, la mélodie est celui qui résulte de plusieurs sons qu’on entend successivement ; or ce qu’on appelle harmonie d’une langue, est le plaisir qui résulte de la suite des sons dans un discours fait en cette langue ; on ferait donc mieux de donner à ce plaisir le nom de mélodie. Mais n’importe, servons-nous des termes usités, après y avoir attaché l’idée précise qui leur convient.

Pour bien analyser le plaisir qui résulte d’une suite de sons, il faut décomposer cette suite de sons dans ses parties et ses élémens. Or les phrases sont composées de mots et les mots de syllabes. Commençons donc par les syllabes. Celles-ci sont formées, ou de simples voyelles, ou de consonnes unies avec les voyelles. Or, parmi les voyelles et les consonnes, il y en a de plus ou de moins faciles à prononcer, de plus ou de moins sourdes, de plus ou de moins rudes ; et c’est la combinaison de ces consonnes et de ces voyelles qui fait qu’une syllabe est plus ou moins douce, plus ou moins rude, plus ou moins sourde. De plus, comme il y a des syllabes qu’on prononce plus ou moins aisément, il y a aussi des suites de syllabes qu’on prononce plus ou moins aisément que d’autres. Une syllabe se prononce d’au-