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deux sens, mais, ce me semble, un peu mieux au premier ; c’est par cette raison que je l’ai préféré, mais je ne serais pas surpris qu’on pensât autrement que moi.

(165). Corbulon n’a-t-il pas été égorgé ? Le latin porte : an excidit trucidatus Corbulo ? Il semble que, pour répondre à notre traduction, la phrase devrait être nonne excidit ; cependant le sens que nous avons adopté paraît décidé par ce qui suit. Corbulon n’a-t-il pas perdu la vie ? Fous me direz qu’il était plus redoutable que nous par sa naissance ; mais Néron était aussi fort au-dessus de Vitellius ; et celui qui se fait craindre est toujours assez grand pour celui qui craint. Sans cette dernière phrase (qui se lie très-bien à ce qui précède), la difficulté de donner au mot an le sens de nonne, m’aurait fait adopter un autre sens que voici : Corbulon, direz-vous, quoique supérieur à nous par sa naissance, a perdu la vie ? mais Néron était aussi, par sa naissance, fort au-dessus de Vitellius. Je ne serais pas même étonné qu’on traduisît de la sorte, et qu’on supposât entre cette phrase et la suivante la liaison que voici : Vous n’êtes pas plus en sûreté que Corbulon ; car celui qui se fait craindre est toujours assez grand pour celui qui craint.

Au reste, Tacite a employé ailleurs an pour nonne, par exemple, dans le discours de Cremutius Cordus ; nous l’avons déjà observé dans une note précédente. En donnant au mot an le sens de nonne dans la phrase dont il s’agit ici, il faudrait entendre cet an avec une ellipse à peu près équivalente à celle-ci : Vous rappellerai-je ou vous souvient-il que Corbulon a perdu la vie ? J’observerai de plus, qu’en admettant cette ellipse, on peut alors en admettre une pareille pour la phrase interrogative dont il a été question dans la note déjà citée, etiamne luctibus tuis non satiatur ? La phrase aura pour lors le sens que voici, et que nous lui avons donné : Ajouterai-je même qu’il n’est pas rassasié de vos chagrins ? C’est aux gens de lettres les plus versés dans la langue latine à juger de la solidité de ces différentes observations.

(166). Sa mort finit la guerre sans donner la paix. Le texte porte à la lettre : sa mort fit plutôt cesser la guerre que commencer la paix. Interfecto Vitellio, bellum magis desierat, quam pax cœperat. Ma traduction est plus concise, et dit la même chose. Forcé souvent d’être plus long que l’original, je tâche d’être plus serré quand le sens et notre langue me le permettent : fais-je bien ou mal de ne pas traduire littéralement quand je le puis ? c’est ce que je n’ose décider. J’ai dit, il est vrai, dans les réflexions qui sont à la tête de cette traduction, que la version littérale doit, pour l’ordinaire, être préférée, quand on le peut, sans s’écarter du génie de la langue française ; mais Tacite presse et condense, pour ainsi dire, tellement ses paroles, qu’il me semble que son traducteur doit, pour se rapprocher de lui, aspirer au même but, et, aux dépens même de la lettre, se rendre le plus concis qu’il est possible, pourvu que la force du sens n’y