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-faire qui mène à la réputation, soit par le mérite sans intrigue, soit par l’intrigue sans mérite, soit enfin par l’un et par l’autre.

(141). Revenu… au vice ou à ce qui ressemblait au vice. Le texte porte à la lettre revenu… aux vices ou à l’imitation des vices. Gordon entend ces paroles, comme si Tacite voulait dire que Pétrone affecta de paraître vicieux et sensuel pour plaire à Néron ; je ne crois pas que ce soit le sens : Tacite vient de dire un moment auparavant que Pétrone était, par caractère et non par affectation, sensuel et voluptueux, qu’il était ennemi de toute contrainte, et par conséquent très-éloigné, si l’on peut parler ainsi, de l’hypocrisie même du vice. Le seul mot revolutus, revenu par son propre penchant, prouve qu’il n’y avait aucune affectation dans la conduite de Pétrone. Le sens de Tacite est, ce me semble, que la vie de Pétrone était plutôt l’imitation et l’image du vice, que le vice même, ce qui est conforme d’ailleurs à la peinture que Tacite fait de Pétrone, non ganeo et profligator… sed erudito luxu.

(142). Insensible au bonheur du prince, peut-être même n’est-il pas rassasié de vos chagrins et de vos larmes ? Prosperas res principis spernit ; etiamne luctibus et doloribus non satiatur ? Pour justifier cette traduction, il faut supposer que la conjonction interrogative ne, dont le sens ordinaire exclut la négation, a dans cet endroit à peu près le sens de nonne ; et plusieurs raisons y autorisent. 1°. Dans ce passage de Virgile, Pallas ne exurere classem Argovum… potuitne ? a évidemment le sens de nônne, et par conséquent peut être supposé l’avoir ici, pourvu que cette supposition s’accorde avec le sens et la construction naturelle de la phrase, accord qui en effet a lieu ici. Il en est de même de ce long passage de la harangue de Cicéron pour Milon, n°. 38, potuit ne, etc., dont le sens est évidemment nonne potuit, comme il est aisé de le voir par ce qui précède et par ce qui suit. 2°. La conjonction an, qui répond à la conjonction ne, et qui a le même sens, se prend souvent dans Tacite pour nonne, comme dans le passage du discours de Cremutius Cordus à Tibère : an illi septuagesimum ante annum perempti… partem memoriæ apud scriptores retinent ? et dans celui-ci, du discours de Mucien à Vespasien : an excidit trucidatus Corbulo, etc. ? 3°. En donnant à ne la signification ordinaire, différente de nonne, et aux mots non satiatur, le sens naturel qu’ils présentent, il n’est point rassasié, la phrase aurait peu de sens, et se lierait très-mal avec celle qui précède, prosperas res principis spernit. En effet, supprimons d’abord la conjonction ne, et mettons : prosperas res principis spernit ; etiam luctibus et doloribus non satiatur, tout se lie et s’accorde très-bien : il est insensible à vos succès ; il n’est pas même rassasié de vos malheurs. Et si, au lieu de non satiatur, il y avait delectatur, dont le sens serait à peu près le même, les deux phrases s’accorderaient très-bien encore : il est insensible à vos succès ; il se réjouit même de vos malheurs. Mettons à présent la conjonction