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coup de choses en peu de paroles, et quelquefois en un seul mot, la meilleure manière de le traduire est de renfermer aussi, et quelquefois de sous-entendre dans une même phrase le plus d’idées qu’il est possible, pourvu que ces idées puissent subsister ensemble, et qu’il n’en résulte dans le style rien de contraire, ni à la clarté, toujours indispensable quand on écrit, ni à la concision qu’on doit toujours chercher en traduisant Tacite.

(124). Les gens de bien, réduits à un seul chef, n’eurent plus le même appui. J’avais donné un autre sens à cette phrase dans les éditions précédentes. Les conseils honnêtes n’eurent plus de crédit auprès de Néron, privé, pour ainsi dire, d’un de ses gouverneurs, et porté pour les scélérats ; et je pense qu’on peut aussi adopter ce sens-là, parce que le mot dux se rapporte plus naturellement à Néron qu’à bonis artibus, et parce que le sens dont il s’agit peut être appuyé, ce me semble, par les mots qui précèdent ou qui suivent subsidia minuebaturinfregit Senecæ potentiamet Nero ad deteriores inclinabat. On voit encore, et par le discours suivant de Néron, et par le récit du meurtre d’Agrippine, que l’empereur accordait à Burrhus et à Sénèque une confiance au moins apparente. Je laisse au lecteur à décider si j’ai bien ou mal fait en adoptant aujourd’hui un sens différent de celui que j’avais suivi d’abord. Au reste (et cette remarque me paraît mériter attention), le sens que j’adopte aujourd’hui renferme, ce me semble, implicitement celui auquel je m’étais arrêté dans l’édition précédente ; car Tacite dit expressément qu’après la mort de Burrhus, Sénèque étant resté seul, les gens de bien n’eurent plus le même appui ; ce qui suppose qu’ils avaient au moins conservé quelque crédit lorsque Burrhus et Sénèque vivaient tous deux : or, comment pouvait-il rester encore à la vertu quelque ressource, sinon dans les conseils honnêtes que ces deux hommes vertueux (autant qu’on pouvait l’être à une pareille cour) osaient quelquefois donner à Néron, qui les considérait et les craignait, soit par un reste de l’habitude que son éducation lui avait fait contracter, soit par l’estime involontaire que la vertu inspire aux méchans mêmes ?

(125). Et Néron leur préférait les scélérats ; et Nero ad deteriores inclinabat. Le mot incliner aurait, ce me semble, été trop faible pour rendre ici la véritable signification du mot inclinabat ; car il parait assez, par tout ce qui précède, que les hommes pervers avaient déjà, et depuis long-temps, beaucoup d’accès et de crédit auprès de Néron.

(126). Qu’il était temps qu’on cessât de lui attribuer tout ce qui se faisait de louable. J’ai suivi dans cette traduction le premier sens que présentent les mots quem ad finem, jusqu’à quel terme, jusqu’à quand ? Cependant, comme finis veut dire aussi but, motif, et que même la phrase latine, ad hunc finem, signifie peut-être encore mieux pour cette fin, pour ce motif, que jusqu’à ce terme, jusqu’ici, je ne